Opéras Rigoletto oubliable à Lyon
Opéras

Rigoletto oubliable à Lyon

05/04/2022

Opéra, 30 mars

L’immense barre d’un grand ensemble berlinois occupe tout le rideau de scène, et reviendra périodiquement. Le motif est repris et varié sous forme de maquettes d’échelles différentes, complétées par quelques praticables, comme celui qui abrite l’alcôve du Duc de Mantoue. L’actualisation n’est pas spécialement agressive en soi, mais là s’arrête l’invention.

Le metteur en scène allemand Axel Ranisch n’a visiblement pas trouvé quoi d’autre à quoi se raccrocher, dans une production d’une désespérante pauvreté (on notera seulement que c’est Gilda, elle-même, qui se poignarde au final), sinon la projection de vidéos, sur un large écran descendu des cintres.

Y sont longuement exposées, en une histoire parallèle et malheureusement concurrente, les avatars et pérégrinations d’un amateur d’opéra, en quête d’enregistrements de l’œuvre qui berce ses rêves, entre autres aventures d’une lamentable vulgarité – y compris, pour faire bonne mesure, une misérable scène pornographique, pour le duo final du II (l’indisposition annoncée du comédien Heiko Pinkowski, collaborateur régulier d’Axel Ranisch, a épargné à cette représentation du 30 mars sa présence réelle en scène).

Pour le reste, après une soirée d’introduction plutôt mollement animée dans un bar-discothèque à machines à sous, qui représente la cour de Mantoue, rien, désespérément rien. Et sans non plus la moindre esquisse de direction d’acteurs, comme si Axel Ranisch, incapable de saisir personnages et action, s’était totalement désintéressé de la partition, constamment prise à contre-pied par les images incongrues et purement anecdotiques de la vidéo.

Difficile au plateau de tirer son épingle du jeu dans ces conditions, chacun opérant de son côté, avec des bonheurs inégaux. On saura gré à Dalibor Jenis de la probité de chant de son Rigoletto, très expressif et sans larmoiements, pauvre hère des banlieues, à cheveux longs et mal rasé, tristement vêtu d’un blouson sombre à capuche, plus profondément triste que vraiment drôle ou méchant ; à Stefan Cerny (en alternance avec Gianluca Buratto), pour la basse profonde bien en situation de son Sparafucile ; à la Maddalena de fort caractère, sinon de graves suffisants, d’Agata Schmidt.

On sera un peu plus réservé sur le Duc d’Enea Scala : de bon profil scénique, et d’une vaillance inlassable, bien projeté et articulé, mais qui, avec un timbre non sans nasalité, claironne sa partie sans assez de mesure, et sans descendre en dessous du mezzo forte.

À côté de comprimari bien choisis et des toujours impeccables Chœurs de l’Opéra de Lyon, la reconnaissance ira d’abord à la Gilda de Nina Minasyan, qu’on avait laissée ici en Reine de Chemakha dans Le Coq d’or, en mai dernier. Après un début appliqué et prudent, on retrouve, avec le même émerveillement, ses impressionnants suraigus et ineffables pianissimi, pour la coda de « Caro nome », notamment. Avec toujours une séduisante présence, à laquelle une vraie mise en scène aurait pu donner plus de poids, seule pourtant à faire passer un soupçon d’émotion.

Comme toujours exubérant, mais d’une impeccable rigueur, Daniele Rustioni, au sortir de ses représentations new-yorkaises, en début d’année, où il sauvait une production non moins désastreuse (voir O. M. n° 179 p. 56 de février 2022), et qui doit accepter celle-ci, prévue d’abord sans lui, en 2020, nous offre l’autre lot de consolation, pour une soirée que l’on préfèrera rapidement oublier.

FRANÇOIS LEHEL


© BERTRAND STOFLETH

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