Palais Garnier, 28 avril
Marc-Antoine Charpentier et William Christie : une longue et belle histoire, une histoire d’amour, pourrait-on dire, tant le chef franco-américain a magnifiquement servi un compositeur qu’il est encore nécessaire de défendre. Maintes fois à la scène, et par deux fois au disque (Harmonia Mundi, 1984 & Erato, 1994), il a mis Médée à l’honneur. Dans la fosse, il est le principal triomphateur de ce spectacle, qui marque l’entrée d’un chef-d’œuvre au répertoire de l’Opéra National de Paris.
Un son généreux, qui peut passer de l’opulence à la délicatesse : l’ensemble Les Arts Florissants, chœur et orchestre, est en grande forme, offrant à la partition des couleurs variées. Cela participe à la crédibilité dramatique de cette « tragédie lyrique » (Paris, 1693), dont le livret, dû à Thomas Corneille, est d’une implacable force théâtrale. La direction gagne en intensité, au fur et à mesure du développement de l’intrigue, sans rien perdre du charme mélodique propre à Charpentier, pour atteindre son sommet dans les derniers instants, alors que la vengeance de Médée est accomplie.
Le spectacle est nouveau pour l’Opéra National de Paris, mais la production date, en fait, de février 2013 – David McVicar l’avait, alors, conçue pour l’English National Opera –, et fut redonnée, au Grand Théâtre de Genève, en avril 2019 (voir O. M. n° 151 p. 46 de juin). Supprimer le Prologue, hommage à Louis XIV, peut se comprendre aujourd’hui. Mais situer l’action pendant la Seconde Guerre mondiale la rend-elle vraiment plus accessible à des spectateurs contemporains ? On peut en douter.
Cela fonctionne, malgré tout, parce que le professionnalisme du metteur en scène britannique est évident, jusque dans les moindres détails. Des idées parfois amusantes, un glissement léger, mais réussi, vers le fantastique, lorsque Médée, l’amoureuse trahie, commence à céder la place à la magicienne, une direction d’acteurs millimétrée, le prouvent. Moins convaincante, en revanche, la chorégraphie de Lynne Page, reprise ici par Gemma Payne, clin d’œil sans grand relief aux comédies musicales de l’époque.
Mais ce qui prime, c’est, avant tout, la réussite musicale, celle de l’orchestre, nous l’avons dit, du chœur, préparé avec soin par Thibaut Lenaerts, et des solistes. Jusque dans les rôles secondaires, l’exigence et l’excellence priment, avec, bien sûr, le souci du style, de la déclamation et de la musicalité. Emmanuelle de Negri, émouvante Nérine, Julie Roset, délicieux Amour… On ne pouvait trouver mieux.
Du côté des barytons-basses, l’Argentin Lisandro Abadie est un solide Arcas, et le Canadien Gordon Bintner, un Oronte au verbe mordant. Laurent Naouri fait passer Créon de l’autorité au ridicule, avec un aplomb saisissant. Quant à la soprano portugaise Ana Vieira Leite, elle n’est qu’élégance, douceur et sensibilité en Créuse.
Reinoud Van Mechelen incarne Jason, créé par Louis Gaulard Dumesny, haute-contre comme lui, dont il a, chez Alpha Classics, tracé un formidable portrait discographique. Fièrement projetée, claire et sonore, la voix du ténor belge illumine un phrasé impeccable et expressif.
À Lea Desandre revient d’incarner le rôle-titre – ce qu’elle fait avec un courage et une détermination exemplaires. Certes, dans les notes les plus graves et dans les moments les plus violents, on perçoit quelque fragilité. Certes, si la musicienne est parfaite, la comédienne est encore timide. Il manque à cette Médée une vraie dimension tragique, mais on ne peut que saluer le travail accompli par la jeune mezzo franco-italienne.
MICHEL PAROUTY