Opéras Réjouissant Béatrice et Bénédict à Nantes
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Réjouissant Béatrice et Bénédict à Nantes

31/10/2023
Philippe Talbot (Bénédict) et Marie-Adeline Henry (Béatrice). © Bastien Capela/Angers Nantes Opéra

Théâtre Graslin, 17 octobre

On sait Béatrice et Bénédict (Baden-Baden, 1862) délicat à faire valoir, musique légère, mais d’une saveur humoristique très volatile, et intrigue fort mince, aux personnages peu dessinés. En effet, Berlioz a tiré, lui-même, de Much Ado About Nothing (Beaucoup de bruit pour rien) de Shakespeare, un livret aux enjeux dramatiques très limités, sans péripétie, et en évacuant les moments tendant au tragique.

Conscient de ces faiblesses, Pierre-Emmanuel Rousseau, pour cette nouvelle coproduction entre Angers Nantes Opéra et l’Opéra de Rennes, a choisi de situer l’action dans la Sicile des années 1980, au sein d’un gang mafieux – il n’est plus question de guerre contre les Sarrasins, donnée périlleuse dans l’actuel contexte, et d’ailleurs sans conséquence dans la pièce.

Si le metteur en scène français avoue s’être beaucoup inspiré, pour le couple éponyme, de Prizzi’s Honor (L’Honneur des Prizzi, 1985) de John Huston, cette référence lui a permis, surtout, de donner de l’épaisseur à ces rôles. Nul besoin, au demeurant, d’avoir vu le film pour apprécier cette production enlevée, le traitement de l’œuvre comme une comédie musicale et le look à la Dallas donnant du « milieu » un aspect pas très sérieux, malgré la présence de gros flingues, de mallettes pleines de billets et de drogues diverses.

Les chorégraphies collectives, du madison au disco, sont réglées au cordeau. Et tous s’y prêtent de bonne grâce, à commencer par le Chœur d’Angers Nantes Opéra, formidablement impliqué et très bien chantant.

La réécriture de certains dialogues – à côté d’autres conservés tels quels –, pour mieux coller au concept, a été faite avec tact, malgré quelques facilités ponctuelles. Et jamais la mise en scène ne va contre la musique, ni ne cède à l’agitation gratuite. Surtout, elle préserve toute l’intimité de deux moments clés de l’œuvre : le sublime « Nocturne » entre Héro et Ursule, au I, et l’air de Béatrice, s’avouant son amour pour Bénédict, au II.

À la tête d’un Orchestre National des Pays de la Loire en grande forme, Sascha Goetzel, son directeur musical, se montre aussi théâtral que subtil, dès une Ouverture pleine d’esprit. Jamais l’énergie ne tombe dans le débraillé ou le tonitruant, et le chef autrichien s’y entend à merveille pour laisser chanter les merveilleux soli instrumentaux parsemant cette partition étincelante, mais périlleuse.

La distribution, intégralement francophone, est parfaitement adéquate, à commencer par le trio féminin. L’Héro sensible d’Olivia Doray montre, au début de son récitatif d’entrée, un vibrato un peu excessif, mais l’émission se faisant vite plus ferme, elle détaille son air, avec des vocalises déliées et des aigus aisés. Sa voix se fond admirablement, dans leur duo, avec celle de Marie Lenormand, Ursule chaleureuse et d’une belle humanité.

Le plus souvent distribuée à des mezzos, Béatrice est ici soprano, comme l’était la créatrice, Anne Charton-Demeur – ainsi qu’en atteste son répertoire, plutôt que les critiques d’époque, la qualifiant tantôt de l’un, tantôt de l’autre. D’une superbe allure en scène, Marie-Adeline Henry habite son rôle avec gourmandise, sachant, le plus souvent, alléger un instrument considérable, pour n’en donner à entendre la puissance qu’en de rares – et très impressionnants – éclats.

La progression de son grand air (« Il m’en souvient ») est admirablement dosée, depuis la tendresse stupéfaite du début, jusqu’à l’exaltation ravageuse finale, avec des aigus parfaitement négociés. Sans doute, chez Berlioz, l’attendrait-on davantage en Didon – et, surtout, en Cassandre –, mais cette Béatrice ne laisse pas de surprendre et d’émouvoir, confirmant l’intérêt de la confier à une chanteuse d’essence sérieuse, voire tragique – à l’instar d’une Janet Baker, jadis.

Philippe Talbot incarne Bénédict avec beaucoup de naturel et de vigueur, même si certains graves manquent de corps, notamment dans ses duos avec Béatrice. Dans les parties plus épisodiques de Don Pedro et Claudio, Frédéric Caton et Marc Scoffoni se montrent parfaits, émission mordante et jeu très naturel. On est, en revanche, un peu surpris que l’excellent Lionel Lhote aborde, déjà, certes de manière truculente à souhait, un rôle aussi essentiellement théâtral et peu chantant que Somarone.

En une période si morose, ce spectacle fait du bien, par le réjouissant esprit d’équipe qu’il montre.

THIERRY GUYENNE

Prochaines représentations à l’Opéra de Rennes, les 12, 14, 16 et 18 novembre, et au Grand Théâtre d’Angers, le 3 décembre.

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