Salle Favart, 21 mai
Après quinze ans d’absence, La Périchole revient à l’Opéra-Comique dans une nouvelle production qui ne manque pas d’atouts : une direction musicale et des chœurs de premier ordre, des décors ingénieux, d’astucieux costumes à transformation, des lumières efficaces, une distribution remarquable. Pour six représentations (pourquoi si peu ?), le public emplit la Salle Favart et manifeste son enthousiasme. On est loin des balourdes reconstitutions offenbachiennes dont nul ne reconnaît une note, et les trois heures du spectacle passent vite. C’est la version de 1874 (en trois actes, le dernier subdivisé en deux tableaux) qui a été choisie, mais le texte parlé emprunte parfois à celle de 1868.
Le spectacle, mis en scène par Valérie Lesort, convaincrait plus si l’on voulait en faire moins. Que de lamas, de chiens, de mules (dont l’une laisse échapper ses excréments, provoquant quelques rires convulsifs) ! Et pourquoi des lamas jusque dans la prison ? La cause animaliste est sauve puisque, selon les déclarations du programme de salle, des marionnettes « évitent de faire souffrir des animaux vivants ». L’écologie aussi, puisque l’on recycle la marionnette du Cupidon d’Ercole amante de Cavalli (2019). Mais si « rien n’est appuyé, tout est suggéré ou détourné », comment comprendre le surlignage infligé aux chanteurs et la gesticulation frénétique qu’on leur impose ?
Un gag par mot, et une gestique mimétique, à l’heure où l’on entend se déprendre des didascalies : « Il grandira » mimé par le geste de monter vers les cintres ! À ce compte-là, Rigoletto devrait tirer la langue pour bien signifier « Io, la lingua ». Or, l’humour de cet « opéra-bouffe » ne va pas sans gravité, et les amours d’un couple de chanteurs des rues doivent émouvoir autant qu’amuser, sans que la fureur du geste menace la subtilité musicale. La direction des acteurs leur rend la tâche himalayenne.
Aux antipodes de cette insistance vétilleuse, l’Orchestre de Chambre de Paris, sous la baguette de Julien Leroy, entraîne et attendrit dans l’élégance, le respect absolu des nuances, tout en ménageant sa place à une discrète nostalgie. Comment ne pas admirer les interludes, l’allure opératique des finales, où le pastiche jouxte les modèles (Donizetti, Verdi) ? Le chœur Les Éléments de Joël Suhubiette atteint la perfection dans la cohérence, la netteté, l’intelligibilité sans le moindre décalage.
Les décors d’Audrey Vuong restituent habilement les différents lieux de l’action, les lumières de Christian Pinaud dispensant surprise et poésie. Les costumes « péruviens », réalisés par Vanessa Sannino, ont la drôlerie et les vives couleurs qui caractérisent situations et caractères. Ils s’adaptent à l’évolution des personnages ; ainsi ce moment parfaitement réalisé, où la Périchole renonce à sa condition de favorite royale : dans la pénombre, des intervenants dissimulés la débarrassent de sa lourde robe carcérale. Elle peut apparaître dans la robe simple et souple de la chanteuse libre.
Stéphanie d’Oustrac, très en voix, campe avec vigueur une Périchole que malmène l’agitation imposée. Les grands moments du rôle (« Ô mon cher amant », « Ah ! quel dîner je viens de faire », tous les duos) mériteraient d’être écoutés sans parasitage. Plus épargné, Philippe Talbot offre un Piquillo touchant et bien chantant. Il incarne la colère, la jalousie, la tristesse, avec un legato et une diction exemplaires.
Tassis Christoyannis fait merveille dans un emploi dont il n’accentue pas la bouffonnerie. Son Don Andrès alterne les velléités de cruauté et de concupiscence ; la mansuétude ultime n’en est que plus attachante. Éric Huchet et Lionel Peintre, gentilshommes à tout faire, Thomas Morris, véritable abbé Faria armé de son « petit couteau », avec lequel il espère creuser (en douze ans) un nouveau tunnel pour une nouvelle évasion, Julie Goussot, Marie Lenormand, Lucie Peyramaure, cabaretières et dames d’honneur, chantent avec ardeur et restent intelligibles dans l’animation.
Tout pourrait être « vraiment parfait ».
PATRICE HENRIOT