Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 15 février
C’est au Théâtre Impérial de Compiègne, alors dirigé par Pierre Jourdan, que la version piano-chant de Pelléas et Mélisande fut représentée, en premier lieu, en 1999. Le metteur en scène Vincent Vittoz reprit, ensuite, l’idée, notamment à Paris, à l’Auditorium du musée d’Orsay, en 2004, avec Philippe Cassard.
Puis Stéphane Degout, alors incontournable Pelléas, investit, pour un soir, la scène de l’Opéra-Comique, en octobre 2018, pour aborder, en concert, le rôle de Golaud, entouré d’une troupe de jeunes chanteurs, permettant à ces derniers d’appréhender les tenants et les aboutissants d’un opéra particulièrement complexe. Jean-Christophe Lanièce, en Pelléas, et Martin Surot, au piano, faisaient déjà partie de cette aventure.
Ils se retrouvent, aujourd’hui, dans le spectacle signé Moshe Leiser et Patrice Caurier, et créé, en janvier 2022, par Châteauvallon-Liberté/Scène Nationale de Toulon, à l’initiative de la Fondation Royaumont, qui conserve, au sein de la Bibliothèque Musicale François-Lang, les éditions originales de Pelléas et Mélisande et ses variantes successives.
Moshe Leiser et Patrice Caurier avaient déjà monté, au Grand Théâtre de Genève, en 2000, une production de l’ouvrage, qui avait fait date. La version avec piano restreint, de fait, les possibilités scéniques – sachant, par ailleurs, que ces dernières doivent s’inscrire au sein d’une tournée essaimant, depuis deux ans, dans différents théâtres de l’Hexagone.
Les choix esthétiques visent, dès lors, presque à l’abstraction : quelques meubles, dont la place évolue au fil des actes, une porte centrale, facilitant les allées et venues, des costumes contemporains, une lumière rasante, fixent le cadre d’une sorte de huis clos permanent.
Certains partis pris laissent perplexe, comme celui de présenter un Golaud aviné et perpétuellement en colère, et Yniold en adolescent visiblement mal dans sa peau, ou celui de gommer le rôle du Médecin, dont les parties chantées sont alors confiées, au dernier acte, à Geneviève !
D’autres instants révèlent, en revanche, toute la profondeur et le tragique des personnages. Ainsi, la scène de la tour, où Mélisande laisse glisser sa chevelure depuis le dessus du piano vers un Pelléas en extase, ou celle des souterrains, qui voit Golaud agresser physiquement son demi-frère pour la première fois – mais la passion de Pelléas est telle qu’il balaiera, d’un revers de la main, la sourde menace. Quant à la dernière rencontre entre les deux jeunes gens, avec une Mélisande prête à accoucher, elle apparaît d’une rare intensité, et totalement glaçante.
Très musicien, Jean-Christophe Lanièce incarne un Pelléas s’animant peu à peu. Son baryton, au timbre attrayant et au beau legato, s’adapte réellement au rôle, malgré quelques brèves tensions dans l’aigu. À ses côtés, Marthe Davost campe une Mélisande lumineuse, que sa clarté et son engagement renforcent. Cependant, un déploiement plus affirmé des couleurs pourrait valoriser plus encore son interprétation.
La présence du Golaud d’Halidou Nombre est imposante, tout comme sa voix, ample et caractérisée, de baryton-basse. Il lui reste à peaufiner une ligne souvent trop abrupte et certaines intonations bien imprécises, voire à la limite de la justesse. En Arkel, Cyril Costanzo révèle une basse particulièrement incisive, dressant du vieux sage un portrait fort touchant. Marie-Laure Garnier, enfin, laisse son soprano opulent se déployer vers le registre grave de Geneviève, avec un réel bonheur, tandis que Cécile Madelin dessine un Yniold vif-argent, de son mezzo chaleureux.
Au piano, Martin Surot – en alternance avec Jean-Paul Pruna, pour les représentations données à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet –, déploie des trésors de sensibilité et de subtilité. Tout en soutenant les chanteurs, son toucher laisse la musique exhaler toutes ses senteurs et ses particularités, dans cette version qui entretient l’intimité et le mystère.
JOSÉ PONS