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Parsifal dans le néant de la réalité augmentée à Bayreuth

26/09/2023
Andreas Schager (Parsifal) et Ekaterina Gubanova (Kundry). © Bayreuther Festspiele/Enrico Nawrath

Festspielhaus, 19 août 2023

Les nouvelles productions de Parsifal à Bayreuth (onze depuis la création, en 1882) font toujours figure d’événement. Celle de 2023, signée par l’Américain Jay Scheib, ne déroge pas à la règle, un énorme battage médiatique ayant précédé la première du 25 juillet. Parsifal « en réalité augmentée », on allait voir ce qu’on allait voir ! Le résultat n’est en rien à la hauteur de ce qu’on nous avait annoncé, racheté par une exécution orchestrale et vocale de très haut niveau.

Que voit-on ? En fait, deux spectacles. Le premier se déroule sur la scène : c’est le seul auquel ont accès, pour l’instant, les quelque 1 600 spectateurs non équipés de lunettes spéciales, leur permettant de suivre la fameuse « réalité augmentée ». Le décor de l’acte I est d’une navrante banalité : une paroi semi-circulaire grise ; une espèce de haut monolithe de la même couleur ; de fins poteaux métalliques entourant une grande roue dentée, aux rayons constitués de néons, qui se soulève pendant la transition entre les deux tableaux ; une pierre tombale noire ; et un petit bassin pour le bain d’Amfortas.

Sur le plateau, il ne se passe rien, sinon une illustration plate et statique du livret, avec le concours d’un minimum d’accessoires (un vrai calice doré, une vraie châsse moyenâgeuse), de quelques projections sur la paroi (celle de la blessure d’Amfortas, en gros plan, est particulièrement gore)… et la surprise, pendant le Prélude, de voir Gurnemanz copuler avec une jeune fille non identifiée (!).

Bref, un néant qui pourrait avoir l’avantage de ne pas fatiguer l’œil, si les costumes n’étaient pas aussi hideux : Gurnemanz en chemise blanche et tablier jaune vif, Parsifal en jeans rapiécé, liquette sale et baskets, Kundry en Dalila d’« heroic fantasy ».

Au II, il se passe davantage de choses, mais pas forcément pour le meilleur. Ainsi des Filles-Fleurs, accoutrées de manière hétéroclite, entre Barbiemania et Flower Power, dans un décor aux couleurs criardes, dont il est permis de ne pas aimer l’assemblage. La scène entre Kundry et Parsifal est, en revanche, une formidable réussite, même si l’on imagine qu’elle doit davantage aux dons de comédiens d’Ekaterina Gubanova et d’Andreas Schager, qu’à une quelconque direction d’acteurs de la part de Jay Scheib. Vus en gros plan sur la paroi du fond, la mezzo russe et le ténor autrichien sont hallucinants de vérité et d’émotion.

Le III explicite (un peu) ce que l’on avait cru deviner, à savoir une mise en scène de sensibilité « écologiste », dénonçant les méfaits de l’homme sur la nature. On retrouve un bassin rempli d’eau, mais nettement plus grand qu’au I, creusé par un engin excavateur rouillé, posé sur la droite du plateau. Une tente de survie complète le dispositif, les costumes s’avérant encore plus irregardables que dans les actes précédents (le pantalon de jogging rouge et le tee-shirt crade de Parsifal !).

On retient, malgré tout, le final de l’opéra, quand la roue surgit d’une eau devenue verte pour s’immobiliser à mi-hauteur, brillant de tous ses néons. Parsifal brise le bloc de pierre sombre symbolisant le Graal, s’avance vers le centre du bassin, suivi de Kundry, puis lève les bras, tandis qu’Amfortas les contemple depuis le bord. Le noir se fait dans la salle, au moment où la roue descend vers le « héros ».

Venons-en maintenant au deuxième spectacle, réservé aux 330 spectateurs ayant acquitté un supplément pour accéder à la « réalité augmentée » (ils seront, paraît-il, le double en 2024). Les lunettes spéciales, qu’il faut aller régler à sa vue trois heures avant le début de la représentation, ne sont pas franchement confortables, mais on s’y habitue. Elles permettent de suivre ce qui se passe sur le plateau, tout en bénéficiant, devant et sur les côtés, d’un flot ininterrompu d’images, en lien avec l’action ou les états d’âme des personnages.

Certaines sont très belles : le gigantesque cheval de Kundry, à son entrée ; l’entrelacs de crotales pendant le « Wehe ! Wehe mir der Qual ! » d’Amfortas ; le kaléidoscope de figures géométriques, lors de l’élévation du Graal ; la lance arrivant dans l’œil du spectateur, à la fin du II, puis le palais de Klingsor disparaissant dans un incendie, nettement plus spectaculaire avec les lunettes que sans.

La plupart, cependant, en plus d’altérer la luminosité des éclairages, sont soit lassantes (que d’oiseaux, moucherons et météorites dérivant dans l’espace !), soit mal dessinées (le cygne abattu par Parsifal, crachant de maladroites éclaboussures de sang !), soit trop envahissantes (le gigantesque arbre mort qui, pendant le Prélude, dissimule complètement le décor !).

Heureusement, sur le plan vocal, c’est Bayreuth à son meilleur, comme il n’aurait jamais dû cesser d’être. Ekaterina Gubanova (succédant, pour les quatre dernières représentations, à Elina Garanca) est l’une des deux ou trois meilleures Kundry du moment, à l’instar d’Andreas Schager en Parsifal et de Georg Zeppenfeld en Gurnemanz. Qu’ajouter à ce qui a été, maintes fois, dit et écrit à leur sujet ? Somptueux de timbre, exemplaires de phrasé, à la fois héroïques et humains, ils marquent les mémoires.

On en dira autant de Derek Welton, baryton-basse australien qui, pour nous du moins, fait figure de révélation en Amfortas. Quelle beauté dans la voix et quelle émotion dans l’accent ! Satisfaisants, Jordan Shanahan et Tobias Kehrer sont moins inoubliables en Klingsor et Titurel, entourés d’une remarquable équipe de Chevaliers du Graal et de Filles-Fleurs, et des extraordinaires chœurs du Festival, préparés par Eberhard Friedrich.

Ce qu’accomplit Pablo Heras-Casado, pour ses débuts dans la fosse du Festspielhaus, est d’ores et déjà admirable de finesse, d’équilibre sonore et de mystère. Manque encore le petit plus de souffle et de passion qui nous avait enthousiasmé dans sa Tétralogie, au Teatro Real de Madrid, entre 2019 et 2022. Nul doute qu’au fil des reprises, il saura l’insuffler à un orchestre comme toujours superlatif.

Au bilan, un Parsifal de haute volée sur le plan musical, qui ne saurait justifier le prix astronomique des places, en raison de sa vacuité dramaturgique et visuelle. Si vous voulez quand même tenter l’expérience, l’investissement dans les lunettes n’est pas forcément nécessaire !

RICHARD MARTET

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