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Marina Rebeka et Christophe Rousset, duo gagnant de Médée à Berlin

27/12/2023
Christophe Rousset et Marina Rebeka, pendant l'enregistrement de La Vestale de Spontini, en 2022. © Nathanaël Mergui

Staatsoper Unter den Linden, 1er décembre

Vue une seconde fois – ce qui permet de faire plus ou moins abstraction du contexte dramaturgique, et de l’obscure transposition de toute l’action dans un port franc, où sont entreposées des caisses contenant des œuvres d’art mises à l’abri du fisc, dont la Toison d’or, servant ici de monnaie d’échange –, la Médée de Cherubini selon Andrea Breth révèle des qualités théâtrales, qu’elle ne laissait pas transparaître à sa création, en octobre 2018 (voir O. M. n° 145 p. 45 de décembre). Faut-il en rendre grâce à l’assistant probablement chargé du soin de la remonter ? Sans, toutefois, manquer de remarquer que la disposition des chœurs, soit invisibles, soit trop éloignés, occasionne de fréquents décalages…

Ce n’est, de toute façon, pas ce qui faisait l’intérêt de cette nouvelle reprise. Pas plus que des seconds rôles partagés entre Peter Schöne, Créon égaré dans une langue, un style, une vocalité même, auxquels il est étranger ; Maria Kokareva, Dircé un rien pincée d’abord, avant de s’épanouir dans les agilités de son air ; et Marina Prudenskaya, reconduite en Néris, et toujours captivante, le temps de son « Ah ! nos peines seront communes ».

Mais bel et bien la réunion du trio qui, en concert, puis au disque, sous l’égide de l’indispensable Palazzetto Bru Zane, a récemment redonné ses couleurs d’origine à La Vestale de Spontini (voir O. M. n° 193 p. 80 de mai 2023), créée dix ans après l’opéra de Cherubini : Christophe Rousset, au pupitre, Stanislas de Barbeyrac, qui passe, ainsi, de Licinius à Jason, et Marina Rebeka, de Julia à Médée.

À la tête, non de ses Talens Lyriques – indissociables artisans du retour, sur instruments d’époque, en avril 2008, à la Monnaie de Bruxelles, à la version originale française d’un ouvrage soumis, aux XIXe et XXe siècles, à de multiples transformations –, mais de l’Akademie für Alte Musik Berlin, tout aussi virtuose et réactive, malgré une sonorité moins crépitante, Christophe Rousset est, et demeure, l’incontestable champion de la partition. Parce qu’il l’inscrit dans la continuité de la « tragédie en musique » française, depuis sa source lullyste, tout en soulignant des fulgurances, d’abord formelles, vers toujours plus de concentration expressive, qui trouveront des échos évidents dans le théâtre lyrique des décennies suivantes, et au-delà.

Le cas de Stanislas de Barbeyrac s’avère, en revanche, franchement embarrassant. D’abord  parce que Jason, avec sa tessiture aiguë – certes pas de haute-contre à la française, mais bien plus tendue et exigeante, à cet égard, que ne l’est, par exemple, celle de Pylade, dans Iphigénie en Tauride de Gluck (1779) –, n’est pas Licinius (presque un baryton, en l’occurrence). Dans ce répertoire qui devrait lui être naturel entre tous, le ténor français ne dissipe pas, dès lors, les craintes soulevées par son premier Erik (Der fliegende Holländer), sur la même scène, en juin dernier (voir O. M. n° 194 p. 62 de juillet-août 2023). Bien au contraire.

S’il veut tenir les inestimables promesses d’un talent distingué, et ne pas être freiné dans sa belle ascension – notamment vers Siegmund (Die Walküre) –, Stanislas de Barbeyrac doit, en effet, impérativement résoudre, techniquement, et non pas à l’instinct, tant que la flexibilité musculaire de la jeunesse le lui permet, la question du passage vers le registre supérieur, qui, d’ailleurs, répond d’autant moins qu’il persiste à assombrir et élargir l’émission, jusqu’à la priver de tout éclat.

À l’inverse, Marina Rebeka percute le traître des reflets adamantins d’un timbre chauffé à blanc. Si, tant le grave, comprimé dans les joues, à l’instar du bas médium, que les mots viennent à manquer, au III, la soprano lettone tient, avec un alliage confondant de contrôle et d’ascendant tragique – plutôt que cette viscéralité barbare, par laquelle d’autres, plus naturellement bêtes de scène, sans doute, ont tenté de compenser le fléchissement des moyens –, cette partie crucifiante. Jusqu’à ces aigus infailliblement dardés, qui aveuglent, et prennent feu.

Deux mois à peine après sa première Aida, au Staatsoper Unter den Linden, déjà, cette Médée, qui en appelle d’autres – la Scala n’a pas dû hésiter, où elle a été appelée, dans la foulée de son triomphe berlinois, à pallier, en janvier, la défection de Sonya Yoncheva, dans une nouvelle production, cette fois –, constitue une incontestable victoire. Par KO.

MEHDI MAHDAVI

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