Opéras Marco Polo voyage à Rouen
Opéras

Marco Polo voyage à Rouen

04/06/2022

Théâtre des Arts, 14 mai

Étrange spectacle que cet Abrégé des Merveilles de Marco Polo du compositeur français Arthur Lavandier (né en 1987), création mondiale de l’Opéra de Rouen Normandie. De par son thème, le fait qu’il soit essentiellement écrit pour un chœur d’enfants, et sa brièveté (une heure), on pense qu’il s’agit d’un ouvrage destiné au jeune public – de fait, il était bien présent dans la salle, lors de la représentation à laquelle nous avons assisté (la seconde, en matinée). En réalité, on est face à une œuvre complexe, qui ne raconte pas une histoire à proprement parler, mais qui procède par allusions, métaphores, réminiscences. On est certes dans le « merveilleux », mais pas dans un conte ou un récit pour les plus petits.

Le livret est de Frédéric Boyer, qui a déjà signé celui de Macbeth Underworld (Bruxelles, 2019) pour Pascal Dusapin. Il s’inspire du Livre des Merveilles, le récit dicté par Marco Polo depuis une prison de Gênes, en 1298, et qui revient sur vingt ans d’exploration du monde, à travers la Mongolie jusqu’en Chine, puis de retour en Inde et en Perse. Mais il s’en inspire très librement, sans le résumer, en en extrayant la substance onirique et suggestive. Comme on peut le lire dans le programme de salle, « Marco Polo devient le narrateur d’un monde merveilleux qui n’y paraît pas, tant il semble vrai, mais un narrateur qui, de ses propres mots, ne crée pas de route : il oriente à travers le rêve ».

Ce texte, essentiellement poétique, donc, mais qui a aussi valeur initiatique (le fait de voyager et d’aller vers les autres étant, évidemment, un moyen de se trouver soi-même) est distribué en plusieurs scènes, qui s’enchaînent imperceptiblement. Il est pris en charge par plusieurs personnages : Marco Polo, bien sûr, et sa famille, le Père, la Mère, trop tôt disparue, mais aussi la Voix, qui est, d’une certaine manière, l’expression de l’inconscient, et le Chœur d’enfants, qui représente la capacité du héros à toujours s’émerveiller. L’orchestre est sur le plateau, les solistes évoluent autour de lui, tandis que le Chœur, à l’arrière-plan, reste statique.

On l’aura compris : il s’agit davantage d’un oratorio que d’un opéra, et il faut davantage parler d’une mise en espace – réglée par Lodie Kardouss – que d’une mise en scène. L’atout majeur de la production est l’apport de la plasticienne Françoise Pétrovitch, dont on connaît le goût pour l’enfance et pour l’onirisme parfois cruel. Elle a conçu une toile de 210 m2 de surface, qui se déroule très lentement et qui raconte, à sa manière, les voyages de Marco Polo. Des vidéos sont projetées sur la toile, pour l’animer et mettre en relief certains détails. C’est beau, poétique, sensible, et cela crée une magie qui imprègne tout le spectacle (entre autres par l’usage de la couleur rouge, qui rappelle l’Orient).

Arthur Lavandier, qui a déjà trois opéras à son actif – le plus connu reste Le Premier Meurtre (Lille, 2016) –, a composé une partition dense, faisant la part belle aux percussions, sans intégrer d’instruments extrême-orientaux, comme le sujet aurait pu le permettre. La musique n’évite pas toujours certains écueils du « contemporain » (les alternances systématiques de forte et de piano, l’excessive saturation), son écriture pour les voix ne fait pas preuve d’une imagination folle (inscription dans une tradition française post-debussyste un peu raide), mais lorsqu’elle s’abandonne, lorsqu’elle relâche un peu la tension, elle sait faire preuve de douceur et de poésie.

L’œuvre est très bien servie par ses interprètes, même si le baryton Vincent Vantyghem aurait gagné à s’affirmer davantage en Marco Polo. Le ténor Safir Behloul, les sopranos Julie Mathevet et Léa Trommenschlager, maquillés de manière expressionniste, nous guident subtilement dans cette histoire abstraite. Surtout, la Maîtrise du CRR de Rouen impressionne par sa justesse, sa musicalité, sa manière de prendre en charge et de défendre ce qui constitue la colonne vertébrale de la partition.

Sous la baguette de Maxime Pascal, cofondateur de l’ensemble Le Balcon, dirigeant ici l’Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, on embarque pour ce voyage sans hésiter.

PATRICK SCEMAMA


© MARION KERNO/AGENCE ALBATROS

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