Auditorium, 7 novembre
La petite centaine d’opéras de Baldassare Galuppi (1706-1785) reste rare à la scène, malgré ses succès, en son temps. L’Opéra de Dijon nous propose, aujourd’hui, L’uomo femina (ou L’uomo femmina, comme imprimé sur le livret), dont le manuscrit a été retrouvé à Lisbonne, en 2006.
Paradoxe que de revenir à la formation réduite de la création au Teatro San Moisè de Venise, en 1762, pour la vaste salle de l’Auditorium dijonnais ! Mais l’acoustique très réverbérée joue favorablement, en assurant à l’orchestre Le Poème Harmonique, toujours à son niveau d’excellence, une parfaite diffusion, et en faisant valoir la beauté des timbres, comme le soutien du brillant clavecin de Benoît Hartoin.
Dans le programme de salle, le chef Vincent Dumestre plaide chaleureusement pour l’œuvre, sans convaincre totalement. On a, en effet, un peu de mal à s’enthousiasmer pour une partition charmante, certes, et qui coule d’une plume facile, mais où les moments forts sont trop rares – à l’exception des finales en sextuor, construits en plusieurs volets, et anticipant, modestement, sur ceux de Haydn et de Mozart.
L’essai de valorisation du livret de Pietro Chiari laisse, également, sceptique. Sur une île où règnent les femmes, débarquent deux naufragés masculins, qui réagissent différemment à la domination qu’elles cherchent à leur imposer : Roberto, qui résiste, et son serviteur Giannino, qui se plie rapidement à sa féminisation, rejoignant celle d’un de leurs prédécesseurs, Gelsomino, depuis longtemps intégré à ce sérail masculin. Thème déjà traité par Galuppi et Carlo Goldoni dans Il mondo alla roversa (1750), et qui est, aussi, celui de La Colonie de Marivaux, la même année !
Un doute encore, pour ce qui serait l’affirmation audacieuse d’une revendication féministe, très en avance sur son temps : en effet, le dernier acte voit, dès son début, un inéluctable renversement de situation, Cretidea revenant à l’ordre « normal », dans sa capitulation devant le charme irrésistible de Roberto !
On sait gré à Agnès Jaoui de n’avoir pas risqué une actualisation démagogique. Après le beau tableau d’ouverture, sur les falaises de l’île, la projection de l’Hercule et Omphale de François Lemoyne (Paris, musée du Louvre), renvoie clairement à l’époque de la création, de même que les costumes de Pierre-Jean Larroque. Le décor d’Alban Ho Van se limite, ensuite, à une architecture mauresque un peu sèche, mais éclairée au mieux par Dominique Bruguière, évoquant le sérail, où l’action est menée avec justesse, et non sans humour, aussi, sans doute.
Un plateau d’excellence contribue au succès du spectacle. Avec la Cretidea d’Eva Zaïcik, d’abord, tempérant son autoritarisme par la séduction du timbre et un legato raffiné. Sans faire d’ombre à ses deux confidentes et rivales, également mezzos, mais très heureusement contrastées, à partir de leur apparition initiale, en belles chasseresses : la superbe Cassandra de Victoire Bunel, ardente à revendiquer pour elle Roberto – qui se révèlera, finalement, son frère –, et la Ramira, d’une très éclatante assurance, de Lucile Richardot.
Avec une verve inépuisable, François Rougier charge beaucoup son Giannino, d’abord heureux de s’ébattre au sérail, comme le Gelsomino d’Anas Séguin, impayable esclave féminisé, tandis que Victor Sicard impose un brillant Roberto.
La coproduction, avec le Théâtre de Caen et Château de Versailles Spectacles – avant une version de concert, au Teatro Real de Madrid, le 3 avril 2025 –, permettra de juger, de nouveau, l’intérêt de cette méritoire tentative de résurrection.
FRANÇOIS LEHEL