Théâtre des Champs-Élysées, 20 juin
En mai dernier, l’Opéra Nice Côte d’Azur présentait L’Olympiade des Olympiades (voir O. M. n° 203 p. 69 de juin 2024) : un « pasticcio », construit à partir de L’Olimpiade d’Antonio Vivaldi, en remplaçant une dizaine d’airs du Vénitien par d’autres, somptueux, signés de contemporains, que le livret de Pietro Metastasio avait, aussi, fort inspirés. Un type d’approche très courant à l’époque, mais qui n’est plus de mise à l’ère du respect pointilleux des partitions.
À un mois de l’ouverture des vrais JO de Paris, cette fois, le Théâtre des Champs–Élysées revient, lui, à L’Olimpiade de Vivaldi. Au jeu des comparaisons, l’original de 1734, avec son catalogue d’airs divers et quasi obligés, n’est pas moins unitaire, puisque le livret demeure inchangé. Il apparaît seulement un peu moins varié de ton, malgré la présence irradiante de l’Ensemble Matheus, déjà artisan majeur de la réussite niçoise.
Toujours sous la battue de Jean-Christophe Spinosi, alternent ici moments tendus, excités, virevoltants pour certains, et d’autres – et pas forcément ceux où l’élégie, somptueuse, prend le pas – un peu alanguis, par excès de ralentissement du tempo. Quelques ajouts/clins d’œil modernistes, et autres tripatouillages tiennent de la coquetterie à la mode. Mais l’ensemble, bien plus long qu’à Nice, parvient parfaitement à porter une tout autre approche scénique.
On ne va pas croire que le sport soit, chez Metastasio, moteur de l’action, répartie, de fait, et comme d’usage, entre amours contrariées, intrigues, masques et surprise finale. S’il n’était, à Nice, qu’un simple effet de contexte, Emmanuel Daumas l’a inséré, à Paris, au plus profond de sa mise en scène, en profitant du fait que Licida est interprété par le contre-ténor polonais Jakub Jozef Orlinski, qui ajoute à ses aptitudes vocales la maîtrise du breakdance, ainsi qu’il en fait la démonstration fort convaincante, tout en chantant.
Les lieux sont donc sportifs – un simple gymnase, à l’architecture de portiques en bois –, mais s’ouvrent sur de possibles changements de décors, passant d’une terrasse à un jardin luxuriant, ou à un triomphe évoquant le style pompier, revisitant ainsi l’Antiquité d’un regard amusé autant que distant.
La petite troupe rompue à la danse moderne, plutôt façon aérobic, s’y déploie à plein temps, phagocytant l’espace et l’œuvre, et finissant par laisser penser que le spectacle, aux manières évidentes de « musical », serait plutôt destiné au Lido 2 Paris – le triomphe, mérité, du numéro de sangle suspendue, qui accompagne le délicieux « Sta piangendo la tortorella » d’Aristea, en témoigne incontestablement.
Mais, au moins, les deux protagonistes jouent-ils parfaitement le jeu sur ce plan. À commencer par l’irrésistible Marina Viotti, Megacle solaire, vaillant et positif, en maillot et torse caoutchouté d’athlète bodybuildé, s’adonnant, avec une masculinité complice et une drôlerie réjouissante, à quelques exercices sportifs ou dansés d’un instant.
La mezzo franco-suisse assure, en sus, une interprétation vocale majuscule, entre élégance naturelle et technique impeccable, pour exprimer, tour à tour, l’amitié, la confiance, l’amour inquiet, le désespoir suicidaire, faisant de chacun de ses airs un moment de grâce.
Jakub Jozef Orlinski, Licida à la perruque d’une blondeur d’innocent, joue, lui, de sa voix ébouriffante, sans s’inquiéter des décolorations d’un aigu un peu trop sollicité et d’une recherche de l’effet, plus que de la musicalité de la ligne, parfois malmenée.
Le reste de la distribution n’atteint pas les mêmes cimes. Transformé en mage sorcier bien trop agité, le sage Aminta trouve en Ana Maria Labin une interprète pétulante, au soprano imposant, mais malmenant les coloratures du rôle. Si la mezzo italienne Caterina Piva défend bien les ardeurs fâchées d’Aristea, malgré une légère tendance au cri, la contralto française Delphine Galou est une Argene sans grand relief.
Enfin, comme à Nice, un mois plus tôt, Luigi De Donato offre une basse noble et parfaitement royale, pour l’emploi, un rien forcé, de Clistene, maître des Jeux et père d’un fils sacrifié, qui a mal tourné.
Ainsi poussé vers la comédie, le « dramma per musica » de Vivaldi prouve, s’il en est besoin, que l’opéra baroque s’accommode du rire sans peine. C’est bien ce qui a soulevé les manifestations de plaisir d’un public totalement conquis.
PIERRE FLINOIS