Opéras Lohengrin des adieux à Salzbourg
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Lohengrin des adieux à Salzbourg

02/05/2022

Grosses Festspielhaus, 9 avril

En 2013, Christian Thielemann et la Sächsische Staatskapelle Dresden reprenaient, au pied levé, la place laissée vide, au Festival de Pâques (Osterfestspiele) de Salzbourg, par le Berliner Philharmoniker. Neuf ans plus tard, le chef allemand et son orchestre font leurs adieux à la manifestation, avec un nouveau Lohengrin, coproduit avec le Staatsoper de Vienne. Dès l’année prochaine, ce sont les rivaux de Leipzig et Andris Nelsons qui seront à l’œuvre.

Les adieux sont assurément réussis, et cette prestation restera dans les mémoires. Certes, quelle que soit la qualité légendaire des cordes de la formation dresdoise, Christian Thielemann n’est pas celui qui insuffle le plus de poésie au Prélude. Mais son sens théâtral est constant, son deuxième acte combine noirceur et sensualité, et sa gestion des scènes d’ensemble est d’une précision sans faille. Quant à l’orchestre, déployé en effectif maximal dans l’immense fosse du Grosses Festspielhaus, il n’a rien à envier au Berliner Philharmoniker.

Habituellement connus en tandem, Jossi Wieler et Sergio Morabito retrouvent, pour l’occasion, Anna Viebrock. Mais la décoratrice et costumière allemande est créditée, cette fois, comme cometteuse en scène, et c’est à trois qu’ils défendent, dans le programme de salle, leur conception de l’œuvre : un thriller dont Elsa est le personnage central, et où un Lohengrin façon Messie sert surtout de diversion, pour faire oublier un crime que la jeune fille pourrait bel et bien avoir commis.

Loin de l’oie blanche souvent décrite, Elsa est ici une femme libérée, refusant les conventions, ne s’en laissant conter par personne, séduisante et même séductrice : on la verra s’accrocher successivement au cou du Roi, du Héraut et de Telramund, pour plaider son innocence, puis décocher des œillades appuyées à son Lohengrin christique. Avant cela, on l’aura découverte vêtue d’un blouson de cuir blanc et d’un jeans, coiffée à la garçonne, repêchant, dans les eaux du port – qui sert de décor à la soirée, mais que l’on verra, à chaque acte, sous un angle différent –, une perruque, puis revêtant une robe plus conforme à l’idée que l’on peut se faire de son rang.

Transposition à l’époque contemporaine ? À peine (on voit quelques tags, au début du II), l’essentiel de l’action s’inscrivant au tournant des XIXe et XXe siècles, avec un Roi qui ressemble à Guillaume II et Bismarck, et des uniformes et costumes de la Première Guerre mondiale : point de vue inhabituel, sans doute, mais nullement provocateur et parfaitement cohérent. La direction d’acteurs est précise, toujours chargée de sens, et les tableaux de foule sont brillamment agencés.

Le public salzbourgeois s’est montré particulièrement conservateur en sifflant le spectacle, huant même par erreur les chefs des trois chœurs (Sächsischer Staatsopernchor Dresden, Bachchor Salzburg, Chor des Salzburger Landestheaters) venus saluer, deux hommes et une femme qui avaient, manifestement, été pris indûment pour les metteurs en scène !

Sans être composée de vedettes, la distribution convainc par son équilibre et l’adéquation de chacun aux personnages voulus par la production. Eric Cutler n’est pas le Lohengrin le plus puissant qu’on ait entendu, mais il séduit par son lyrisme, sa clarté et l’homogénéité de ses registres. Semblablement, la projection de Jacquelyn Wagner peut sembler un peu courte pour le Grosses Festspielhaus, mais la soprano américaine a comme atouts un timbre rond et chaud, des phrasés raffinés et une crédibilité théâtrale parfaite.

Le Telramund de Martin Gantner fascine par le soin qu’il apporte à rendre chaque mot intelligible et chargé de sens, tandis qu’Elena Pankratova prend un plaisir visible à camper une Ortrud moins caricaturale qu’à l’accoutumée, avec une tenue vocale de haut vol, y compris dans des « Imprécations » d’une rare netteté. Enfin, Hans-Peter König est impeccable dans le Roi, flanqué du digne Héraut de Markus Brück.

NICOLAS BLANMONT


© RUTH WALZ

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