Opéras L’impossible lutte d’Elektra à Lon...
Opéras

L’impossible lutte d’Elektra à Londres

26/01/2024
Nina Stemme (Elektra). © Tristram Kenton

Royal Opera House, Covent Garden, 12 janvier

C’est durant la reprise, en décembre 2014, de leur Tristan und Isolde commun, créé en septembre 2009 (voir O. M. n° 45 p. 54 de novembre), que l’idée a germé de réunir Antonio Pappano, Christof Loy et Nina Stemme, dans Elektra. Rendez-vous fut pris, alors, pour juin 2020 – date à laquelle la production ne put voir le jour, pour une raison qu’il est inutile de rappeler… La voici donc, enfin, une quasi-décennie plus tard.

Cette longue période, entre l’intention et la réalisation, a, cependant, laissé d’inévitables traces sur la voix de la soprano suédoise, désormais sexagénaire. Si un protège-poignet révèle que les répétitions n’ont, peut-être, pas été de tout repos, aucune annonce n’est faite avant la représentation. Et les premières minutes rassurent, avec un vibrato nettement stabilisé, par rapport à son Ortrud (Lohengrin) d’octobre dernier, à l’Opéra Bastille.

Mais, peu à peu, l’aigu, qui a, jusqu’à récemment, été l’un des points forts de la plus grande Isolde des vingt dernières années, commence à se montrer récalcitrant. Avant que le premier contre-ut ne lui échappe carrément. S’engage, dès lors, une impossible lutte, qui culminera face à Orest – un Lukasz Golinski au velours juvénile –, sans que Nina Stemme n’en laisse rien paraître, sa concentration, et son investissement physique, assumant l’incarnation jusqu’à la danse finale.

Défaillance passagère (elle annulera les quatre représentations suivantes, et n’assurera que les deux dernières), ou signe qu’il est temps de renoncer à ce rôle d’Elektra, dont elle restera comme l’une des interprètes majeures, et qu’elle doit encore reprendre au Festival de Pâques de Baden-Baden, du 23 au 31 mars ?

La soirée laisse, en tout cas, l’impression d’un chapitre en train de se clore, dans l’émotion, certes – l’accueil chaleureux du public en témoigne –, mais  non sans le sentiment, assez triste, d’avoir assisté à la soirée de trop, peut-être.

Dans un état de délabrement vocal nettement plus avancé, Karita Mattila comble au moins le regard, la tessiture de Klytämnestra, bien plus basse que celle d’Herodias (Salome), abordée en octobre 2022, à l’Opéra National de Paris, ne lui permettant que de jeter quelques coups de griffe épars, et d’ailleurs peu saillants.

Chrysothemis de chair, plus que de lumière, Sara  Jakubiak apparaît, par contraste, d’une insolente plénitude, malgré, ici et là, quelques duretés – péché véniel, comparé à son inadéquation à l’Impératrice (Die Frau ohne Schatten), en octobre dernier, à l’Opéra de Lyon.

Un Charles Workman toujours tendu et élancé, en Aegisth, et des Servantes de bonne tenue, à l’exception de la Cinquième, dont la défense d’Elektra détonne, complètent une distribution qu’Antonio Pappano veille à ne pas submerger, bien au contraire.

Ce qui n’empêche pas le chef britannique de porter, dans cette ultime nouvelle production de son mandat de directeur musical du Royal Opera House, le flamboiement des timbres à un degré d’ivresse sensuelle, magnifié par une attention aux détails que l’acoustique du Covent Garden met supérieurement en valeur.

La mise en scène de Christof Loy n’en paraît que plus sage. Au point que sa signature esthétique épurée, sinon austère, se dilue presque dans le respect des didascalies.

Comme chez Patrice Chéreau, qui faisait se lever, plutôt que se coucher, le soleil sur Mycènes, l’action se déroule, d’abord, à la lumière du jour, dans la cour, assez crasseuse, d’un palais viennois 1900 – que la longueur des jupes projette dans la seconde moitié du siècle dernier. Derrière les hautes fenêtres qui la dominent, une société de jeunes hommes, réunie autour de la maîtresse de maison, que la vengeance matricide bientôt rattrapera, festoie, avant d’abuser de la domesticité féminine.

Grandeur et décadence, plutôt que démesure et indécence, pour un théâtre soigné et efficace, qui laisse à d’autres, donc, le bruit et la fureur de l’hybris tragique.

MEHDI MAHDAVI

Pour aller plus loin dans la lecture

Opéras Le Ring débute dans la jubilation à Munich

Le Ring débute dans la jubilation à Munich

Opéras Début de remake du Ring à Milan

Début de remake du Ring à Milan

Opéras Jean-Marie Machado mélange les genres et les langues à Rennes

Jean-Marie Machado mélange les genres et les langues à Rennes