Opéra, 13 mars
« Musique trop musique », peut-on lire, comme un reproche, sur l’un des cartons manipulés à vue par les deux danseurs-chorégraphes, Sofia Dias et Vitor Roriz, à qui Tiago Rodrigues a confié le commentaire poétique de sa mise en scène de Tristan und Isolde. Mehdi Mahdavi avait souligné, à la création du spectacle, à Nancy, en janvier 2023 (voir O. M. n° 190 p. 57 de mars), les limites de ce « prima le parole, dopo la musica », par la faute, surtout, d’un texte trop nébuleux.
La reprise lilloise permet, néanmoins, de constater combien la singularité de cette approche s’adapte à une distribution entièrement renouvelée. Le hiératisme de la direction d’acteurs est accentué, involontairement, par un accident survenu au début des répétitions, obligeant Annemarie Kremer à chanter Isolde en béquilles, ce qui n’est pas un mince exploit… Astucieusement intégrée à la dramaturgie par Laurent Delvert, en charge de cette reprise, la blessure physique de la soprano néerlandaise donne au personnage une forme d’humanité et de fragilité, tranchant avec la rigidité un brin glacée des protagonistes qui l’environnent.
Côté chant, la rudesse du timbre et la stabilité du volume général composent d’Isolde un portrait, somme toute, banal et sans grand relief. L’interprétation ne souffre, par ailleurs, d’aucune baisse de tension, mais l’absence de caractérisation finit par limiter les enjeux à une endurance, certes louable, mais qui peine à transformer la « Mort » en brasier ardent.
Contraint à une distance qui semble lui interdire toute velléité de contact physique, Daniel Brenna n’offre à son premier Tristan qu’une surface vocale, dont l’usure limite la présence et l’impact. Embarrassé par une émission souvent forcée, comme par une ligne clairement en difficulté dans le duo d’amour, le ténor américain trouve, pourtant, les ressources pour donner à l’agonie du personnage, un format et une tension psychologique de premier plan.
De précieux motifs de satisfaction sont à chercher parmi les trois autres prises de rôles, à commencer par le Kurwenal d’Alexandre Duhamel. Un peu transparent, dans ses premières interventions, le baryton français tente, avec succès, de fendre l’armure, au III, avec une ligne plus affirmée et une accentuation plus cohérente.
David Steffens débute, de bien belle manière, en Marke. La basse allemande impressionne par la qualité de sa diction et une couleur très expressive, à mille lieues des monologues solennels qu’on y entend trop souvent.
Mais la palme revient, assurément, à Marie-Adeline Henry. La soprano française propose une Brangäne, dont la fraîcheur et la projection soulèvent l’enthousiasme, dès les premiers mots. La beauté du phrasé le dispute à une incarnation de haute volée, alternant véhémence et douceur, avec une autorité et une souplesse absolument remarquables.
Cornelius Meister donne à l’Orchestre National de Lille, une vivacité de lecture qui fait fi de tout atermoiement, inscrivant le drame dans un écrin instrumental d’un équilibre parfaitement approprié. Tout juste regrette-t-on une tendance à mettre en lumière le détail du matériau sonore, au détriment de la progression naturelle vers l’acmé.
La spatialisation du Chœur de l’Opéra de Lille, ainsi que des interventions solistes, dans les espaces latéraux, offre une solution très satisfaisante, réussissant à déjouer la relative sécheresse de l’acoustique, en faisant de la salle un prolongement du plateau.
DAVID VERDIER