Opéras Les Troyens pour les voix à Munich
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Les Troyens pour les voix à Munich

03/06/2022

Nationaltheater, 14 mai

Le personnage d’Énée est, sans doute, le plus difficile à distribuer dans Les Troyens. Berlioz a imaginé un rôle exigeant souplesse et vaillance, endurance et légèreté. Ces derniers temps, Michael Spyres s’y est imposé, à l’occasion des concerts et de l’enregistrement dirigés par John Nelson (CD Erato, 2017), mais on ne saurait oublier la prestation de Gregory Kunde, au Châtelet, en 2003, sous la baguette de John Eliot Gardiner (DVD Opus Arte).

Près de deux décennies plus tard, revoici Gregory Kunde, plus en forme que jamais, cette fois dans la nouvelle production du Bayerische Staatsoper de Munich. Certes, le timbre n’est plus celui d’un jeune homme, mais, à 68 ans, le ténor américain affronte Énée avec panache et n’en escamote aucune difficulté : jamais on n’a entendu un air d’entrée (« Récit » du I)aussi impétueux, aussi articulé ; jamais les adieux à Ascagne (« Final » du III) n’ont été aussi poignants.

Autour de lui, la distribution brille, à Troie, de mille feux. Marie-Nicole Lemieux, d’abord prudente, déverrouille ensuite les écluses, et donne vie à une Cassandre indomptée, avec des exclamations (« Ottetto » du I) qui n’ont rien du cri. Face à elle, le Chorèbe splendide de style et de diction de Stéphane Degout – les deux étaient déjà réunis dans l’enregistrement de John Nelson, cité plus haut – apporte le contraste idéal. Eve-Maud Hubeaux est un Ascagne parfait, et Roban Chabaranok, un Spectre d’Hector hiératique.

À Carthage, l’enthousiasme diminue, même si Martin Mitterrutzner nous offre un pianissimo délicieux, puis savamment enflé, sur le mot « fais » dans les « Strophes » d’Iopas, ce qui n’est pas si fréquent. Balint Szabo est un Narbal sans grande personnalité, l’Anna de Lindsay Ammann pèche par un timbre ingrat, et Ekaterina Semenchuk (appelée à remplacer Anita Rachvelishvili en Didon, une semaine avant la première), très en voix, produit du son avant d’incarner un personnage. Certes, la présence de Gregory Kunde lui permet d’offrir des duos de belle facture, mais les scènes finales l’abandonnent aux mêmes facilités qu’à l’Opéra Bastille, en 2019.

Il est vrai que la mise en scène de Christophe Honoré ne l’aide guère. Il n’y a rien à dire sur les deux premiers actes, représentés sans grande imagination sur un sol cabossé, avec un chœur qui bouge peu et mal. La seule bonne idée est une trouvaille en creux : le cheval de bois, dont généralement les réalisateurs ne savent pas quoi faire, est ici remplacé par l’expression « Das Pferd » (« Le cheval ») en lettres lumineuses.

À Carthage, Christophe Honoré ne sait visiblement plus quoi proposer. Le peuple en liesse du III, il le refoule dans les coulisses (et le fait entendre via des haut-parleurs), et nous offre à la place une piscine, au bord de laquelle se prélassent des garçons, ce qui permet, du même coup, au chef d’orchestre d’écourter le « Chœur général » (« Gloire à Didon ») et de supprimer, purement et simplement, les trois « Entrées ». Ces mêmes garçons, qui s’ennuient, s’habillent, se déshabillent, s’étreignent, on les retrouve sur des écrans, au cours de la « Chasse royale » et des « Ballets » du IV. Images tout à fait hors sujet, qui pourraient convenir aussi bien (ou aussi mal) à Parsifal ou Cosi fan tutte, et sont là uniquement pour combler une inspiration théâtrale défaillante.

Pour le reste, on cherche encore la direction d’acteurs : chacun fait comme il peut, lance les bras au ciel ou prend des poses réfléchies, au gré de son humeur. Au moment du départ des Troyens, au V, on embarque des caisses de bière (hommage aux fêtes munichoises ?) ; mais déjà, au moment du « Combat de ceste », au I, des figurants se roulaient par terre autour d’un verre de bière. À la toute fin, pour la « Cérémonie funèbre », le chœur réapparaît (smokings et robes du soir, comme à Troie), comme si rien ne s’était passé, et se montre toujours aussi terne et aussi peu concerné, au moment de lancer son « Imprécation ».

Bien sûr, on a droit à l’inévitable séquence filmée par un opérateur en temps réel, avec projection sur un écran géant du visage du chanteur… Bref, on a rarement vu mise en scène aussi vide, aussi paresseuse ; on a rarement vu costumes aussi laids et aussi incohérents : cette redingote comme une sauterelle géante pour Chorèbe, cette veste rose pour Narbal, ces bas à mi-mollet pour Anna !

L’orchestre ne brille ni par ses couleurs, ni par sa nervosité. Pour une clarinette très présente dans la « Pantomime » d’Andromaque, que de cuivres sans nuances, que de percussions brutales ! La direction de Daniele Rustioni ne manque pas d’engagement, certes, mais elle est parfois brouillonne. On est bien loin de la « fougue réglée » que Berlioz appelle de ses vœux dans ses écrits.

Une hirondelle ne fait pas le printemps ; de même, une distribution brillante ne saurait suffire aux Troyens.

CHRISTIAN WASSELIN


© WILFRIED HÖSL

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