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Les retrouvailles goldoniennes de Natalie Dessay et Laurent Pelly à Paris

09/05/2024
© Dominique Breda

Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 30 avril

Créé en septembre dernier, à Louvain-la-Neuve, L’Impresario de Smyrne, mis en scène par Laurent Pelly, fait escale, pour onze dates, à Paris, au sein d’une tournée en France (Antibes, Versailles) et en Belgique (Liège, Bruxelles), qui s’achèvera, en mai, à Caen.

Il s’agit, en fait, d’une nouvelle version, resserrée et retraduite avec tact, de L’impresario delle Smirne – à l’origine, un livret de Carlo Goldoni, pour un opéra de Galuppi (1759), adapté, par la suite, en pièce de théâtre en vers (1761) –, à laquelle Agathe Mélinand adjoint quelques extraits d’Il teatro comico (Le Théâtre Comique, 1750), du même auteur.

Ce couplage permet une double « mise en abyme », tout se jouant – avec quelques moments dans les coulisses – pendant une représentation de L’Impresario de Smyrne, qui relate les tribulations d’un riche marchand turc, venu à Venise pour en ramener une troupe de chanteurs. Un double niveau pas toujours très lisible, avouons-le.

Sous-titré Scènes de la vie d’opéra, cet objet théâtral est un hommage doux-amer au spectacle vivant, dans toute sa cruauté, mais aussi sa fragilité – comme a pu le révéler la récente crise sanitaire. Avec un humour acerbe, qui n’exclut pas une grande tendresse, Laurent Pelly croque tout ce monde de rivalités féroces et de folles vanités, qu’il connaît bien, dans une atmosphère onirique et brumeuse, évoquant autant un théâtre – avec un cadre doré de tableau un peu de travers, comme un cadre de scène – qu’un bateau, en partance pour on ne sait quel destin.

L’intrigue est un peu trop mince, pour soutenir l’intérêt pendant deux heures. Heureusement, les effets comiques sont là. Et surtout, l’excellent Ensemble Masques, dirigé du clavecin par Olivier Fortin, avec un violon et un violoncelle, imprime à la soirée un rythme irrésisitible, grâce aux musiques très enlevées de Galuppi, Corelli et Durante.

On regrette, quand même, que, pour une pièce ne parlant que d’opéra, la part dévolue au chant soit si minime, avec, en tout, seulement trois airs – et même pas en entier ! –, choisis, sans grande recherche, parmi les « arie antiche ». On se serait, au moins, attendu à ce que chacun des cinq chanteurs de cette troupe vénitienne se fît à un moment entendre.

Comment le castrat Carluccio – très drôle Thomas Condemine ! – peut-il afficher de si folles prétentions, sans faire démonstration de son talent, tout comme l’ambitieuse débutante Lucrezia, incarnée par Jeanne Piponnier ?

En Annina, Julie Mossay sert, de son soprano modeste et pas très régulier, mais avec esprit, « Stizzoso, mio stizzoso » de Pergolesi. Quant au ténor Damien Bigourdan, il a choisi, pour s’illustrer en Pasqualino, « O del mio dolce ardor » de Gluck (à l’origine, un air de castrat), émis en force, avec bien peu de suavité.

Le seul moment de grâce et de vraie émotion vocale nous vient de Natalie Dessay, dans un « Sposa, son disprezzata » de Vivaldi suspendu, chanté avec simplicité, ainsi qu’un magnifique contrôle de la ligne et une fraîcheur de timbre inattendue. La comédienne se révèle, de surcroît, excellente en Tognina, sans jamais en faire trop, comme on aurait pu le craindre.

Natalie Dessay est la vraie locomotive de ce très joli spectacle, qui scelle les émouvantes retrouvailles, cette fois théâtrales, entre une cantatrice et un metteur en scène, ayant si souvent conjugué leurs talents à l’opéra.

THIERRY GUYENNE

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