Metropolitan Opera, 26 avril
La Madama Butterfly magnifiquement stylisée, signée par le cinéaste britannique Anthony Minghella (1954-2008), avait ouvert, en septembre 2006, le mandat de directeur de Peter Gelb (voir, en dernier lieu, O. M. n° 25 p. 53 de janvier 2008).
Les seize représentations de cette saison auront vu se succéder Aleksandra Kurzak (janvier, puis fin février-début mars) et Asmik Grigorian (fin avril-début mai), marquant les débuts au Met de la chanteuse-actrice la plus en vue d’Europe. Collectionneur de talents photogéniques, Peter Gelb a, également, programmé une retransmission, en haute définition, dans les cinémas, de cette reprise, le 11 mai, avec cette dernière et Jonathan Tetelman. Comment les choses auraient-elles pu mal tourner ?
D’une part, Aleksandra Kurzak, aux côtés du Pinkerton de Matthew Polenzani, s’est révélée une Cio-Cio-San d’une palette expressive et chromatique extraordinaire – au point d’être considérée, par les experts locaux, comme la meilleure Butterfly du Met, depuis Renata Scotto ou Diana Soviero. D’autre part, Jonathan Tetelman, très honorable Ruggero (La rondine), lors de ses débuts dans la maison, le 26 mars, mais davantage attendu, par la critique et le public, dans le rôle autrement plus rigoureux de Pinkerton, a été affecté par de sévères allergies, au cours de son séjour new-yorkais, et a dû céder la place, pour cette première de sa série, le 26 avril, à sa doublure, Chad Shelton.
Professionnel établi, le ténor américain est, aujourd’hui, passé à d’autres emplois. Le couple qu’il forme avec Asmik Grigorian fait, dès lors, preuve de peu d’alchimie. De sorte qu’au I, la soprano lituanienne – une Butterfly expérimentée, y compris dans cette production, dont elle a assuré la création viennoise, en 2020 – semble abandonnée à elle-même et, malgré tout son art, plutôt monochrome, sur le plan du timbre, et déprimée, dans sa caractérisation.
Aux actes suivants, lorsque Cio-Cio-San occupe le devant de la scène, Asmik Grigorian se révèle, à défaut de miracle vocal, une chanteuse aux moyens adéquats pour la salle, et une interprète au physique gracieux. Son comportement suggère que l’héroïne est traumatisée par le souvenir de ses années comme geisha, grâce à une posture et des gestes psychologiquement éloquents – plutôt qu’en accentuant le texte, comme Renata Scotto ou Diana Soviero.
Dans les nuances douces, qu’elle a tendance à privilégier, l’instrument, fébrile et assez convaincant, lui permet un legato fluide. Dans les climax orchestraux, en revanche, l’émission apparaît plus générique et soumise à une certaine pression.
Dans l’ensemble, Asmik Grigorian réussit, donc, ses débuts au Met, dans un rôle où ceux-ci peuvent être difficiles. Mais il s’agit, clairement, d’une artiste dont le talent s’épanouit davantage dans des productions créées autour de ses forces et de ses limites. Il faut espérer qu’elle revienne, à l’avenir, pour de telles missions.
L’impact, tant vocal qu’émotionnel, le plus impressionnant de la soirée émane de la Suzuki d’Elizabeth DeShong et du Sharpless de Lucas Meachem. Les deux chanteurs américains livrent des interprétations détaillées, bien au-delà de la norme. La mezzo-soprano renoue avec la tradition du Met consistant à déployer, dans le rôle, des moyens substantiels – si seulement la maison lui offrait davantage d’opportunités ! Quant au baryton, il sonne superbement et rend son personnage tout à fait crédible.
Le pivot de cette reprise est Xian Zhang, pour ses débuts au pupitre du Met. Le sens du rythme et des équilibres de la cheffe sino-américaine, directrice musicale du New Jersey Symphony Orchestra, fait d’elle un véritable atout pour la compagnie.
DAVID SHENGOLD