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Le retour d’Ulysse selon Keiser à Soleure

03/04/2024
Henryk Böhm (Ulysses). © Joel Schweizer

Théâtre Municipal, 23 mars

Annoncé fièrement, par le TOBS (Théâtre Orchestre Bienne Soleure/Theater Orchester Biel Solothurn), comme la résurrection de l’œuvre, trois siècles après sa création, à Copenhague, en 1722, cette production d’Ulysses – donnée, pour la première fois, à Schwetzingen, en 2022 – semble vouloir ignorer les représentations de Brunswick (Braunschweig), en 2000, ainsi qu’à Germering, l’année suivante. Sans oublier la version de concert, dirigée par Antonius Adamske, à Nienburg, en 2021, qui a donné lieu à un enregistrement, paru chez Coviello Classics.

Comme à chaque fois que nous entendons un opéra de Reinhard Keiser (1674-1739), nous sommes émerveillé par la qualité d’une musique enchaînant, en toute liberté, ariosi, récitatifs et accompagnati, sur une orchestration raffinée et une palette expressive remarquable : airs tendres ou guerriers, jaloux ou badins, invocation infernale, airs de tempête… et pas moins de quatre duos.

Le problème vient davantage du livret, adapté de celui écrit pour Ulysse, « tragédie en musique » de Jean-Féry Rebel (Paris, 1703). Dans cet énième « retour d’Ulysse dans sa patrie » inspiré d’Homère, Circé poursuit le volage héros jusqu’à Ithaque. Voulant regagner son cœur, la magicienne le supplie, menace, puis attise le penchant – non consommé – de Pénélope pour Urilas.

Surtout, grâce à une épée enchantée, elle va, de nouveau, se faire aimer du héros, en lui faisant oublier son épouse ! Mais le sortilège est brisé. Urilas disparaît, Ulysse et Pénélope se retrouvent enfin, laissant Circé, vaincue, s’éloigner… En résulte une intrigue mal ficelée, avec des personnages schématiques, cette dernière exceptée.

Un autre problème est le caractère incomplet de la partition qui nous est parvenue, avec quatre airs de Pénélope, remplacés par des arie de la main du compositeur Giuseppe Maria Orlandini. En effet, la maladie de la chanteuse, prévue à la création, a contraint à son remplacement par une autre, qui a puisé dans son propre répertoire.

Ici, le chef allemand Clemens Flick s’est autorisé plus d’un douteux tripatouillage, supprimant Prologue et chœur final, ainsi que les interventions divines ou allégoriques. Il a aussi changé les paroles, et remplacé le personnage comique d’Arpax – serviteur d’Ulysse, qui permet le mélange de tons si prisé à l’époque – par un Poète sentencieux, assis en permanence dans un coin de la scène, d’où il interprète des chansons modernes, en s’accompagnant à l’accordéon.

Ces choix musicaux vont, évidemment, dans le sens de la mise en scène de Nicola Raab. Car la réalisatrice allemande entend démythifier l’action, transposée à notre époque, et se jouant entièrement au « Bar Ithaka ». Nous sont surtout servis, dans une esthétique très pauvre, des gags anachroniques et décalés, tellement vus et revus que l’on est vite affligé.

L’engagement et la compétence de Clemens Flick arrivent à faire passer l’attelage étrange de l’Orchestre Symphonique Bienne Soleure, avec un clavecin, un orgue et un théorbe… sans oublier l’accordéon, mentionné plus haut ! Mais l’on se surprend à sourire, quand quelques mesures de Der Rosenkavalier s’invitent pour souligner un sortilège, qui se noue ou se dénoue.

Dans le rôle-titre, le baryton allemand Henryk Böhm fait valoir une bonne voix et un grand sens de l’éloquence. Dommage, alors, que la vocalise soit si laborieuse. En Urilas, le baryton-basse roumain Benjamin Molonfalean se montre meilleur virtuose, mais sa diction est nettement moins fluide. Le ténor suisse Remy Burnens, enfin, est un Eurilochus délicat.

Chez les dames, le trio de sopranos est dominé par la Tchèque Dora Pavlikova, Circe impérieuse, à la vocalise hardie, mais aux variations hors style. La Suissesse Clara Meloni se montre très scrupuleuse en Penelope, sans marquer vraiment. Plus de piquant chez la Française Roxane Choux, Cephalia un rien pointue, peut-être – mais en faire une barmaid ne l’aide guère à construire un personnage intéressant.

Quant au comédien allemand Klaus Brantzen, il offre un Poète parfait, bien que ses remarques décalées, qui interrompent constamment l’action, finissent par lasser.

Un spectacle, pourtant, dont les limites, théâtrales et musicales, ne parviennent pas à minorer la qualité de la musique de Reinhard Keiser, né voici trois cent cinquante ans.

THIERRY GUYENNE

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