Opéras Le nouvel opéra de Thierry Escaich à Lyon
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Le nouvel opéra de Thierry Escaich à Lyon

09/05/2022

Opéra, 2 mai

C’est au cours des répétitions de Claude, le premier opéra de Thierry Escaich (né en 1965), créé à Lyon, en 2013, qu’est née l’idée de Shirine. Mais le Covid est passé par là, et on vient seulement d’assister à la création de cet ouvrage, dont la partition a été achevée en  2019. Entre-temps a eu lieu la première mondiale de Point d’orgue, en mars 2021, au Théâtre des Champs-Élysées, pourtant composé après Shirine.

On se trouve là, quoi qu’il en soit, face à trois opéras fort différents. Autant Claude et Point d’orgue sont des variations sur le thème du huis clos (une prison pour le premier, une chambre d’hôtel pour le second), autant Shirine occupe des espaces ouverts et s’appuie sur un fonds légendaire. Le livret en a été rédigé par l’écrivain et cinéaste franco-afghan Atiq Rahimi, d’après Khosrow va Chîrîn de Nezâmi Ganjavi, poète persan de la seconde moitié du XIIe siècle.

À partir de cette épopée romanesque qui raconte la vie de Khosrow, roi de Perse, et celle de la princesse arménienne Shirine, Atiq Rahimi a imaginé un ensemble de douze tableaux, introduits par un Prélude et clos par un Épilogue, qui se déroulent tantôt dans des palais ou des jardins, tantôt dans la nature. Les amours des héros sont évidemment contrariées : par Chamira, la tante de Shirine ; par Chiroya, le jeune fils de Khosrow ; et par l’intransigeance de Shirine elle-même, qui cultive sa liberté, s’éprend du sculpteur Farhâd, mais finalement rejoindra Khosrow dans la mort.

Il n’est pas interdit de voir là, d’une certaine manière, une version orientale du mythe de Tristan et Iseut. Mais le livret d’Atiq Rahimi baigne dans une certaine emphase (ah, le retour périodique du mot « aimance » !), fait se succéder les épisodes sans réelle progression dramatique, et parfois convoque deux narrateurs, Nakissâ et Bârbad, dont les interventions, trop peu nombreuses pour structurer l’ouvrage, ralentissent l’enchaînement des péripéties.

La partition s’en ressent. On retrouve l’écriture caractéristique de Thierry Escaich, ses ostinatos implacables, son orchestration travaillée (un tuba grondant, des cordes cisaillantes, des percussions utilisées avec gourmandise, mais avec aussi une certaine économie), ses bouffées chorales qui disent l’interdit ou l’obsession. Mais l’ensemble pèche par un ensemble de lignes de chant trop peu variées, qu’il s’agisse d’exprimer l’attente, la joie ou l’effroi.

Il y a là un récitatif continu qui devient monotone, et une prosodie prisonnière des intentions très appuyées du livret. L’interlude instrumental, au milieu de l’œuvre, qui réunit les amants et deux danseurs figurant leurs doubles, paraît d’une durée disproportionnée, malgré tout le soin qu’apporte Franck Ollu à ménager les plans sonores, à doser les effets, à faire sonner l’Orchestre de l’Opéra de Lyon avec clarté.

Thierry Escaich utilise trois instruments orientaux (un ney, un duduk, un qanûn), qu’on aimerait entendre davantage. Le compositeur a, sans doute, voulu résister à la tentation de l’« exotisme », tout comme Richard Brunel, qui nous propose un spectacle d’une sobriété presque abstraite. Sur le plateau nu, un élément tournant, divisé en quatre, permet de circonscrire différents espaces (le palais de Khosrow, le jardin de Chamira, etc.), puis cet élément change de forme, pour figurer une chambre, en attendant que le fond du décor se déchire dans un grand effet spectaculaire, avec lumière inquiétante et fumigènes, pour laisser apparaître Farhâd en train de sculpter la montagne.

Quelques figurines persanes nous rappellent discrètement où nous sommes, et l’on n’échappe pas aux visages projetés en gros plan, ni à un film racontant la mort des amants, à la fin. Les costumes bariolés des Chœurs de l’Opéra de Lyon pourraient évoquer un Orient approximatif, mais Chiroya, par exemple, ressemble à un adolescent d’aujourd’hui.

On ne peut que féliciter les solistes, qui s’engagent sans compter. Le rôle de Shirine met un certain temps avant d’être prépondérant, et Jeanne Gérard offre ce qu’il faut de fragilité et de violence à ce personnage complexe, qui se baigne nu, chevauche avec intrépidité pendant la chasse, tout en cherchant l’amour ; ses cris restent toujours dans la limite de la musique.

Julien Behr est un Khosrow viril, colérique, dont la voix de ténor, unie au soprano de Jeanne Gérard, est, bien sûr, celle, habituelle, du héros amoureux. Il faut un baryton : c’est l’excellent Jean-Sébastien Bou qui incarne l’équivoque Chapour (un Iago oriental ?), peintre, conseiller et messager de Khosrow, à la fois fidèle et jaloux.

La mezzo Majdouline Zerari campe l’autoritaire Chamira, et le baryton Florent Karrer, l’épisodique Farhâd. Quant au ténor Stephen Mills, il donne toute la fougue attendue à Chiroya. On a évoqué les deux vrais-faux récitants : le contraste vocal entre le baryton-basse Laurent Alvaro et le contre-ténor Théophile Alexandre est judicieux, mais Bârbad et Nakissâ sont des personnages qui se cherchent, de même que nous cherchons les chatoiements que la donnée poétique de Shirine aurait pu susciter.

CHRISTIAN WASSELIN


©  JEAN-LOUIS FERNANDEZ

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