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Le monde disparu de Georges Aperghis à Valenciennes

26/02/2024
© Heinrich Brinkmîller

Le Phénix, 14 février

Compagnon de route d’Antoine Vitez, pour qui il a conçu la musique de nombreux spectacles, Georges Aperghis (né en 1945) devient, à partir des années 1970, en France puis en Allemagne, le héros d’un théâtre musical, associant comédiens, écrivains, metteurs en scène, vidéastes, plasticiens. Lui-même est un expérimentateur forcené, guidé par un sens inné d’un art pluridisciplinaire, mis en pratique durant deux décennies au sein de l’ATEM, à Bagnolet.

La réouverture de l’Opéra de Lille, sous la direction de Caroline Sonrier, avait donné lieu à la création du spectacle multimédia Avis de tempête, le 17 novembre 2004. Vingt ans plus tard, l’institution accueille, au Phénix/Scène Nationale de Valenciennes, Die Erdfabrik (Duisbourg, 2023), commande de la Ruhrtriennale, en coproduction avec La Muse en Circuit.

Cette unique représentation française est l’occasion de retrouver le théâtre si peu conventionnel d’Aperghis, qui s’est penché sur le patrimoine industriel minier de la Ruhr, mémoire d’un antre creusé de cavités et de chemins obscurs. Si le monde fantastique de Jules Verne, associé aux images de Méliès, lui fut une source littéraire de prédilection à ses débuts, c’est avec le philosophe Jean-Christophe Bailly que le compositeur franco-grec façonne les textes de cet autre Voyage au centre de la Terre, dont l’écho résonne jusque dans l’ancien bassin minier des Hauts-de-France.

« Plus profonde et plus noire que la nuit céleste est la nuit qui dort sous nos pieds, et qui elle aussi, comme l’autre nuit, est emplie d’éclats », déclare Bailly, en préambule. Le spectacle met en scène des dessins animés aux thèmes changeants, où dansent, au fond de galeries, des silhouettes de mineurs, d’enfants, le pinceau lumineux des lampes frontales, les outils stylisés et le canari qui prévient du coup de grisou, afin que « la combinaison de chacun forme », pour Jeanne Aperghis, réalisatrice des films d’animation, « un ensemble comme dans un orchestre ».

À la mosaïque de ce monde mouvementé répond celui des instrumentistes, travailleurs égarés dans les coulisses d’une cité oubliée, aux gestes mécaniques, tâtonnant fiévreusement la roche, ce fossile des temps primitifs. Une polyphonie de syllabes et de sons purs – vocabulaire indissociable du compositeur – se transmet aussi bien par la percussion, dont l’éventail des sonorités se modèle sur les différents registres des outils de mineurs, que par le souffle de la trompette avec sourdine de Marco Blaauw, la déflagration amplifiée du grave de la contrebasse de Sophie Lücke, ou le chant léger et sensuel confié à la soprano Donatienne Michel-Dansac, véritable ludion (et fidèle d’Aperghis), sur qui se concentre cette Fabrique de la terre. Un burlesque qui naît de la voix contrefaite, du mouvement désynchronisé des corps, de gestes loufoques et de sonorités inusitées, comme cette enclume – authentique, elle –, frappée à grands coups de marteau.

Ce théâtre d’ombres, avec son cortège tintinnabulant de métal, de cloches et de sirènes – à la manœuvre, les percussionnistes Dirk Rothbrust et Christian Dierstein –, convoque un monde disparu, dont la mémoire conserve l’empreinte. Souvenirs épars, morcelés en une musique qui se délite, fuit et ruisselle, dans un espace typiquement aperghissien, avec cette attention particulière pour les sons les plus infimes – comme si, armé d’une loupe, il s’agissait de traquer la fragilité du mouvement, la vibration d’un corps, la trace de quelque chose, un signe.

À partir d’une réalité brutale, Die Erdfabrik entrelace les codes et les gestes, qui régissent cette immersion – sans exclure l’humour et le rire, là où la voix de Donatienne Michel-Dansac se métamorphose à plaisir. Vivement une reprise de ce « Voyage au centre de la Terre 2» !

FRANCK MALLET

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