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Le Grand Macabre, ou l’apocalypse n’a pas eu lieu, à Francfort

16/12/2023
Anna Nekhames (Venus), Peter Marsh (Piet vom Fass), Elizabeth Reiter (Amanda) et Karolina Makula (Amando). © Barbara Aumüller

Opernhaus, 2 décembre

À l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt), la création locale du Grand Macabre a été retardée de trois ans, pour cause de pandémie. Qu’elle coïncide, à présent, avec le centenaire de la naissance de György Ligeti (1923-2006), et donc avec différentes productions de l’ouvrage, dont une au Staatsoper de Vienne, au même moment, et une autre au Bayerische Staatsoper de Munich, en juin 2024, n’était donc pas prémédité. En tout cas, cette coïncidence constitue une belle occasion d’inventaire, sur ce que peut encore nous dire cet « anti-anti-opéra », créé il y a quarante-cinq ans déjà.

À ce sujet, le metteur en scène russe Vasily Barkhatov est formel : si la musique du Grand Macabre lui paraît toujours aussi efficace, les incessantes allusions rabelaisiennes du livret ont, en revanche, beaucoup vieilli. Et il est vrai qu’à une période où la libération sexuelle faisait florès, autant Ligeti que son complice librettiste, Michael Meschke, ont surchargé à tel point d’obscénités la pièce de Michel de Ghelderode, qu’une accumulation aussi systématique de provocations graveleuses peut, aujourd’hui, sembler datée – voire, par certains de ses aspects, plus choquante même que lors de la création.

Rappelons qu’à l’origine, les amants du livret s’appelaient Clitoria et Spermando, puis ont été renommés, plus prudemment, Amanda et Amando, lors de révisions ultérieures, effectuées par les auteurs eux-mêmes… Tout un symbole !

Ici, le rétropédalage s’accentue. Vasily Barkhatov désamorce beaucoup des répliques les plus débridées, au profit du récit plus linéaire d’une véritable apocalypse. Une comète va réellement percuter notre terre, et l’humanité entière n’a plus d’autre dilemme que de décider comment elle va passer les dernières heures qui lui restent à vivre. Quant au sulfureux Nekrotzar, ce « Grand Macabre » qui terrorise toute la population de Breughelland, avant d’être ridiculisé, il ne joue, de toute façon, qu’un rôle d’emblée accessoire, la catastrophe étant déjà annoncée, dès le début, par tous les médias d’information, sur des écrans géants.

Le Grand Macabre débute par un concert de douze klaxons, parodie purement musicale, mais dont l’effet, ici, devient réellement scénique, puisque le rideau se lève sur… un embouteillage ! Des véhicules bloqués dans tous les sens, dont un corbillard, conduit par un agent de pompes funèbres qui va devenir, travesti en souverain de carnaval, nanti d’une tronçonneuse factice, le Nekrotzar de la farce.

Au deuxième tableau, bloqués eux aussi dans l’embouteillage, mais dans un mobil-home vu en coupe, Astradamors et Mescalina s’adonnent moins à des jeux sexuels sado-masochistes qu’à une consommation frénétique de drogues, dont le résultat, sous forme de vidéos colorées, interagit directement avec eux. Là aussi, c’est très drôle, et nettement moins obscène que la situation d’origine.

Quant à la cour du prince Go-Go, caricature au vitriol d’un régime totalitaire délabré et corrompu, elle se réduit à une luxueuse boîte de nuit, où une aristocratie déguisée tente de s’amuser frénétiquement jusqu’aux dernières secondes de son existence. Au quatrième tableau, les trois soudards sanguinaires du livret ne sont plus que l’équipe technique, qui vient démonter les diverses installations de la fête. L’apocalypse n’a pas eu lieu, ou du moins elle se poursuit, mais à petit feu, un écran continuant à diffuser, dans un coin, les images des multiples guerres et catastrophes naturelles de notre propre actualité…

Une vision relativement édulcorée, donc, mais d’un comique constamment relancé par une excellente distribution. Il s’en détache nettement, non pas le Nekrotzar de Simon Neal, simplement correct, mais bien l’omniprésent Piet de Peter Marsh, qui promène sa désopilante dégaine de jouisseur naïf, en slip kangourou et peignoir noué à la hâte, sur un abdomen naturellement rebondi.

Crèvent aussi l’écran le stupide Go-Go d’Eric Jurenas, irrésistible en maître de cérémonie de bal costumé déjanté, et Anna Nekhames, aux aigus impeccablement justes. La soprano russe cumule ici en un seul personnage, véhiculé tantôt en cercueil, tantôt en brouette, les rôles de Vénus et de Gepopo, chef de la police secrète.

En fosse, Thomas Guggeis coordonne assez efficacement un orchestre proliférant, les effets les plus divers se succédant à une bonne cadence, sans jamais couvrir une distribution scéniquement déchaînée.

LAURENT BARTHEL

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