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Le désespoir vaguement apocalyptique de Gianni Schicchi et L’Heure espagnole à Rome

24/02/2024
Karine Deshayes (Concepcion). © Teatro dell'Opera di Roma/Fabrizio Sansoni

Teatro Costanzi, 11 février

Pour le centenaire de la disparition de Puccini, le Teatro dell’Opera de Rome a mis à l’affiche le moins fréquenté de ses chefs-d’œuvre, Il trittico (New York, 1918). Non pas d’un seul tenant, comme l’avait voulu le compositeur, mais de façon « recomposée ». Chacun des trois volets, confié à un metteur en scène différent, se voit, en effet, couplé avec une œuvre emblématique du XXe siècle.

Étalé sur trois saisons, le projet a démarré, en avril 2023, avec le binôme Il tabarro/Le Château de Barbe-Bleue. C’est, maintenant, au tour de Gianni Schicchi d’être confronté à L’Heure espagnole : le plus digne héritier de Falstaff, suivi par une parodie hilarante de l’« opera buffa ».

Loin d’être inédit – on se souvient du spectacle de Laurent Pelly, à l’Opéra National de Paris, créé en mars 2004, et repris en mai 2018 (voir, en dernier lieu, O. M. n° 141 p. 58 de juillet-août) –, le couplage n’en pose pas moins certains défis. D’autant que le but affiché par Michele Mariotti, le directeur musical, serait d’en finir, une fois pour toutes, avec l’idée d’un Puccini passéiste ou, pire encore, vériste, pour révéler enfin, au grand jour, sa veine d’expérimentateur.

Mais la proximité prétendue de ces deux actes uniques se délite à l’épreuve de la scène. Impossible, en effet, de servir le propos, sans donner du relief aux seuls atouts – netteté de la parole théâtrale, architecture millimétrée des partitions– capables de combler un écart autrement infranchissable.

Ainsi, le soin extrême, apporté aux couleurs et aux textures, enlève au rythme narratif de Gianni Schicchi une bonne dose de son implacable mécanique. Certes, Michele Mariotti hisse l’orchestre maison à des sommets de raffinement rarement entendus, mais son approche analytique entraîne des tempi élargis, des transitions étirées et un volume sonore gonflé, aux dépens de l’intelligibilité des voix et de la verve théâtrale.

Pour sa part, le plateau peine à trouver le juste équilibre entre chanté et parlé. Hormis l’attachant couple d’amoureux, formé par le ténor chaleureux de Giovanni Sala et le soprano stylé de Vuvu Mpofu, une distribution inégale entoure le protagoniste, Carlo Lepore, desservi par une émission durcie et un timbre rocailleux, caricaturant ses phrases, jusqu’à compromettre la continuité de la ligne. Seule véritable surprise, le mezzo plein de charme de la Géorgienne Ekaterine Buachidze.

Mais la déception vient surtout du spectacle, qu’Ersan Mondtag aborde en scénographe plutôt qu’en directeur d’acteurs, dans une approche timide et conventionnelle, retirant aux deux comédies toute trace de vitalité et d’humour.

Le décor – un palais délabré, au milieu d’une forêt, au portail surmonté par un monstre de pierre, où le lit de Buoso Donati laissera la place, en seconde partie, aux horloges de Torquemada – pourrait servir une transposition fantastique des plus originales, avec la complicité de costumes tout droit sortis d’un univers à la Tim Burton.

Rien ne laisse, cependant, deviner, derrière les apparences, un vrai but dramaturgique, si ce n’est d’assombrir la comédie sous une chape de désespoir vaguement apocalyptique – parti pris d’autant plus frustrant dans L’Heure espagnole, au livret si truffé de jeux de mots et d’allusions savoureuses.

Et pourtant, l’œuvre de Ravel est bien la plus réussie de ce diptyque. Non seulement grâce au traitement luxuriant que Michele Mariotti réserve à l’orchestre, distillant les mille couleurs de la partition, sans entraver la fluidité narrative, mais aussi par la présence ravissante de Karine Deshayes, sous les traits exubérants de Concepcion.

La mezzo française convainc par son engagement scénique, incarnant avec gourmandise la frustration d’un désir qui tourne à l’impatience et à la colère, autant qu’obéissant, par la netteté de l’articulation, la sécheresse des phrases et le tranchant des accents, à l’injonction ravélienne de « dire plutôt que chanter ».

Malgré son accent tout sauf idiomatique, Nicola Ulivieri impose l’arrogance stérile de Don Inigo Gomez, autrement rêveur que le Gonzalve assez mièvre de Giovanni Sala, qui assume la caricature du poète lyrique, tout comme celle du mari trompé l’est par le Torquemada de Ya-Chung Huang. Trois figures de carton-pâte, justement éclipsées par l’irréprochable Ramiro de Markus Werba, qui joint l’allure vocale à la prestance du muletier.

C’est de ses allées et venues, aussi drôles qu’incisives, que doit se contenter la protagoniste, au terme d’une soirée qui nous aura, malgré tout, laissé sur notre faim.

PAOLO PIRO

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