Arena, 2 août 2023
Alors que le Festival de Vérone (« Arena Opera Festival ») célèbre son centenaire, il était tout naturel qu’Aida ouvre la manifestation, comme lors de la toute première édition. Pour marquer l’occasion, la mise en scène de Franco Zeffirelli, reprise régulièrement depuis 2002, a laissé place à une nouvelle production, radicalement différente, conçue par Stefano Poda.
Le parti pris est, ici, de concilier une certaine tradition, à travers le recours à des symboles égyptiens (pyramides, œil d’Horus, figures de Seth et d’Anubis), et une esthétique futuriste, servie par l’emploi de lasers et des costumes rutilants, recouverts de strass.
Malheureusement, cette débauche d’argent et de paillettes, pas toujours du goût le plus sûr, vire à l’esthétique disco, dans le tableau du triomphe : on préférait amplement la simple dichotomie noir/blanc sur laquelle s’ouvrait l’œuvre, et qui aurait pu être soutenue tout au long de la représentation.
Stefano Poda a, en effet, conçu la scénographie autour d’une sculpture de main géante, tantôt ouverte, tantôt fermée : main de la fatalité, sans doute, ou main divine, qui fait apparaître les personnages ou les recouvre, et d’où s’échappent des faisceaux lumineux. De chaque côté de la scène, des mâts sont également surplombés de mains ouvertes – blanches d’un côté, noires de l’autre –, illustrant les deux pays ennemis.
La spécificité de cette lecture est, toutefois, de ne pas rattacher de manière définitive une couleur à un camp particulier. Comme si le détail historique importait peu, et que c’était l’idée de conflit qui intéressait le metteur en scène italien ; qu’il racontait un affrontement, une lutte, mais non la guerre entre Égyptiens et Éthiopiens.
Ce choix ne sert pas forcément le propos : à tendre vers l’abstraction, le destin tragique des personnages devient ici moins prégnant. De même, les tableaux plus intimistes sont écrasés par un plateau surchargé de figurants, souvent réduits à déambuler, et de danseurs, aux chorégraphies sans grande recherche. Rien ne saisit donc, ni visuellement, ni dramatiquement, dans cette proposition.
On le sait, les Arènes de Vérone offrent de réelles contraintes à la direction d’acteurs (la taille des lieux, les changements de distribution…), et celle de Stefano Poda est tout à fait minimale. Ce dont souffrirait, sans doute, Anna Netrebko, si elle possédait moins d’envergure vocale et musicale pour incarner Aida.
D’une magnifique densité, l’instrument privilégie, de manière générale, les couleurs sombres du timbre. Mais la soprano russo-autrichienne sait aussi ménager de très beaux sons piano et lumineux, où transparaissent sa maîtrise et son expérience du rôle.
En Radamès et Amneris, Yusif Eyvazov et Olesya Petrova souffrent davantage de n’être pas dirigés ; et si, au premier acte, le ténor azerbaïdjanais semble un peu fragile (malgré un aigu rayonnant dans « Celeste Aida »), et la mezzo russe moins audible dans le grave, leurs voix s’épanouissent par la suite, notamment dans les duos et ensembles.
L’Amonasro d’Amartuvshin Enkhbat est, quant à lui, remarquablement expressif, tandis que le Roi de Simon Lim et le Ramfis de Christian Van Horn sont réduits à une quasi-immobilité scénique. Le chœur signe une prestation convaincante, malgré de légers décalages.
De l’interprétation musicale de Marco Armiliato, on retient la lisibilité constante des différents pupitres, la délicatesse des pages intimistes de l’œuvre, un bel élan dans les tempi. Et, surtout, la manière formidable dont le chef italien dirige les chanteurs : les accompagnant, autant qu’il les mène.
CLAIRE-MARIE CAUSSIN