Opéras La première Alcina lyrique à Madrid
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La première Alcina lyrique à Madrid

27/06/2024
Vivica Genaux (Melissa). © Pablo Lorente

Teatros del Canal, 4 juin

Alors qu’elle vient tout juste d’être nommée « Présidente de l’Établissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette, à Paris », la chorégraphe, metteuse en scène et comédienne franco-espagnole Blanca Li présente, à Madrid, son dernier spectacle, coproduction entre le Teatro Real et le Teatros del Canal, qu’elle dirigea de 2019 à 2023.

Pour cette infatigable créatrice, qui ne cesse, depuis ses débuts, de mélanger les disciplines, pour aboutir à de nouvelles formes esthétiques, le défi est de taille. En effet, la pièce choisie, commande de la régente Marie-Madeleine d’Autriche, mère de Ferdinand II de Médicis, grand-duc de Toscane, n’a pas souvent été redonnée, depuis sa création, à Florence, en 1625. Unique opéra – désigné, à l’origine, comme un « balletto in musica » – de Francesca Caccini (1587-v. 1641), qui nous soit parvenu, La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina est une délicieuse découverte.

Avec un budget réduit, mais un vif enthousiasme, Blanca Li et son équipe, portée par le brillantissime chef espagnol Aaron Zapico, abordent cette œuvre à la manière d’une revue de music-hall, chic et décalée. Rien de franchement novateur, certes, mais tout concourt, ici, à recréer l’illusion, à plonger l’intrigue dans un univers où règne la magie, comme sur l’île où Alcina retient prisonnier son amant Ruggiero.

Blanca Li convoque, ainsi, les codes et les éléments d’un théâtre d’ombres, où de simples rideaux agités rappellent le tumulte des flots, où la nature est symbolisée par des comédiens emmitouflés dans des mètres de tissus reliés au sol, qui vapotent comme si de la fumée s’échappait de ces troncs d’arbres vivants, des cœurs en peluche rouge évoquant, plus loin, les effets de la passion. 

Ailleurs, des danseurs aguerris prêtent leurs jambes pour d’exquises chorégraphies, mais aussi leurs seules mains gantées de blanc qui, isolées du cadre, viennent titiller les personnages, pour un numéro de cabaret à l’ancienne. Ces clins d’œil malicieux, associés aux splendides jeux de lumières de Pascal Laajili, mettant en valeur les superbes costumes, au noir et blanc impeccable, signés Juana Martin, illustrent à merveille ce conte qui, à la différence de l’Alcina de Haendel, se conclut par un « lieto fine ».

L’œuvre de la fille de Giulio Caccini, sans doute la première femme à avoir écrit un opéra, n’a rien à envier à certaines compositions, depuis longtemps tirées de l’oubli, de Cavalli, ou même Monteverdi. Formée par ses parents, l’érudite Francesca est une chanteuse, claveciniste, luthiste et théoricienne, qui sait faire scintiller sa musique et animer la rigueur du « recitar cantando », par une profusion de couleurs, de rythmes endiablés et un usage habile de la polyphonie.

À la tête des instruments anciens de Forma Antiqva, Aaron Zapico, qui n’a pas hésité à puiser, chez les contemporains de la compositrice, quelques extraits additionnels pour équilibrer l’ensemble, dirige avec fougue et clarté.

Au sein d’une épatante distribution, Vivica Genaux fait de Melissa une véritable meneuse de revue ; de surcroît, le rôle, d’une tessiture très centrale, convient parfaitement à ses moyens actuels. Si la mezzo espagnole Lidia Vinyes-Curtis n’a pas le timbre le plus seyant qui soit, son Alcina montre du caractère, face au Ruggiero, fort bien chantant, du ténor mexicain Alberto Robert.

Jone Martinez, soprano frémissante, et Francisco Fernandez-Rueda, ténor plein d’abattage, incarnent, avec beaucoup d’allure, leurs multiples personnages, entourés de choristes et de danseurs irrésistibles.

Un petit bijou.

FRANÇOIS LESUEUR

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