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La Nativité selon le compositeur vivant le plus joué au Met de New York

01/06/2024
Davone Tines et Julia Bullock. © Met Opera/Evan Zimmerman

Metropolitan Opera, 1er mai

Avec cette nouvelle production d’El Niño, son « opéra-oratorio », créé à Paris, au Théâtre du Châtelet, le 15 décembre 2000, John Adams (né en 1947) dépasse Philip Glass, son aîné de dix ans, au rang des compositeurs vivants, dont le Metropolitan Opera de New York a le plus mis en scène les œuvres. Mais, aussi visuellement saisissant que soit le spectacle de Lileana Blain-Cruz, personnalité exubérante venue de Broadway, et formidable cette façon, avec laquelle Marin Alsop rassemble ses forces orchestrales et chorales, on sort respectueux, mais pas convaincu que la pièce tienne particulièrement bien la scène.

D’autres oratorios – de Haendel, notamment – ont bénéficié d’un traitement opératique. Mais, en partie à cause de son livret, délibérément abscons et multilingue, élaboré par John Adams et Peter Sellars, ce récit de la Nativité et de la jeunesse de Jésus, à travers la fuite en Égypte, manque d’un arc dramatique cohérent.

Lileana Blain-Cruz en souligne les résonances avec les histoires contemporaines de réfugiés de l’oppression politique et économique, marquant le contraste entre les magnifiques couleurs de la représentation de la nature – terre, eau et ciel – dans les décors et les projections, et les privations subies collectivement par ces derniers.

Le seul élément qui nuit au déploiement du texte reste – comme on pouvait s’y attendre, car c’est, malheureusement, devenu la signature esthétique de l’ère Gelb – la chorégraphie, puissamment vigoureuse et prétentieuse, de Marjani Forté-Saunders. Les danseurs, eux-mêmes, sont superbes, mais les saccades spasmodiques et les gestes déconcertants, exécutés à l’unisson, détournent continuellement l’attention. De plus, durant la scène, musicalement touchante, du massacre des Innocents, l’escouade ridiculement frénétique, armée de fusils automatiques, vue à l’Opéra Bastille, dans Beatrice di Tenda selon Peter Sellars, envahit le Met !

El Niño a en commun, avec L’Enfance du Christ de Berlioz – ouvrage beaucoup plus proto-cinématographique –, une partition attribuant plusieurs rôles à certains solistes, avec la singularité que Marie est partagée par la soprano et la mezzo, à différents moments.

Aussi excellente actrice qu’émouvante chanteuse, et d’une grande imagination, Julia Bullock est devenue une icône de l’interprétation de la musique américaine. Ses graves sont magnifiques, mais peu de critiques ont osé relever le fait, indéniable, que, dans cette partie de soprano, créée par Dawn Upshaw, le registre supérieur est, à présent, systématiquement obstrué.

Non moins iconique, le baryton-basse Davone Tines confère à sa prestation une envergure dynamique plus apte à remplir la salle, une belle présence dramatique, et une déclamation admirablement cristalline, bien que la texture quelque peu rugueuse de sa voix, lorsqu’il négocie des intervalles ascendants, convienne mieux à Hérode – un portrait vraiment effrayant de dictateur déséquilibré – qu’à Joseph.

En alternance avec J’nai Bridges, pour la partie de mezzo, Daniela Mack sonne superbement sur tout l’ambitus, dans le rôle de l’autre Marie, dont elle incarne les préoccupations maternelles, en complémentarité avec Julia Bullock.

Les contre-ténors Siman Chung, Eric Jurenas et Key’mon W. Murrah se montrent d’une grande musicalité, en harmonisant habilement leurs instruments. Dans la scène de la crèche de Bethléem, John Adams confie à chaque roi mage une berceuse solo. Tous les trois chantent bien, mais la performance la plus remarquable, en termes de rayonnement du timbre et de présence vocale, est celle de Key’mon W. Murrah – dont on rappelle qu’il travaillait comme employé dans un hôtel de son Kentucky natal, lorsqu’il participa aux master classes de Joyce DiDonato, au Carnegie Hall, il y a cinq ans à peine !

Le chœur d’enfants, dont la calme et belle contribution à la scène finale est l’un des moments forts de la soirée, mérite une mention spécialement élogieuse. Mais c’est à la cheffe américaine Marin Alsop, d’une parfaite maîtrise, et dont les débuts au Met étaient attendus depuis longtemps, que reviennent les acclamations les plus sonores.

DAVID SHENGOLD

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