Opéras La Métamorphose de Rusalka à Berlin
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La Métamorphose de Rusalka à Berlin

24/02/2024
Christiane Karg (Rusalka) et Pavel Cernoch (Le Prince). © Gianmarco Bresadola

Staatsoper Unter den Linden, 11 février

Paradigme des dérives d’un certain « Regietheater » ? Cette nouvelle production de Rusalka repose sur un triple postulat, dont chaque élément peut être contesté. Pour Kornel Mundruczo, l’opéra de Dvorak est un « drame de l’identité ».

Puisque cette problématique est toujours d’actualité, et qu’il y a des éléments modernes dans la musique, le cinéaste hongrois, depuis peu en vogue dans les théâtres lyriques, notamment allemands, annonce qu’« une lecture scénique contemporaine [l]’aide à souligner cet aspect ». Comme si le public avait, nécessairement, besoin de voir l’action transposée à notre époque, pour comprendre qu’elle le concerne !

Le metteur en scène explique, ensuite, que la question de l’apparence physique de Rusalka est « d’une importance secondaire » et que, puisque Kafka a vécu à Prague « une génération après Dvorak », il sent un lien très fort entre l’héroïne éponyme et le Gregor Samsa de La Métamorphose. L’Ondine sera donc dotée, mais uniquement au III, d’un appendice caudal de serpent à anneaux, de plus de dix mètres, qui pourra, sans doute, être réutilisé dans une prochaine production de Das Rheingold

Troisième et dernier postulat : puisque Kornel Mundruczo fréquente la capitale allemande depuis vingt ans et y a, explique-t-il, pas mal d’amis, une colocation berlinoise, avec la diversité de sa population, fait, selon lui, une parfaite métaphore du « bord d’un lac », évoqué par le livret.

Les habitants en sont les trois Dryades, jeunes femmes légèrement vêtues de strass, crop tops et talons compensés, avides de faire la fête et de danser, dès que possible, flanquées du père de Rusalka, décrit comme un « hippie vieillissant, portant un regard désabusé sur le capitalisme et l’évolution du monde ».

En caleçon trop large et maillot de corps, il ressemble, surtout, au Gros Dégueulasse de la bande dessinée de Reiser, vérifiant des deux mains la situation olfactive de ses aisselles et vomissant dans les toilettes, juste à côté de la baignoire, où marine sa fille – faute de lac, ce n’est que là qu’elle trouve assez d’eau…

On l’aura deviné, Jezibaba est la concierge de l’immeuble, portant charentaises, pantalon de training et veste floquée des lettres WC. Le Prince, enfin, bien qu’affublé d’une coupe mulet digne des Tuche – sans doute faut-il éviter, à tout prix, qu’il soit séduisant –, vit, à l’étage supérieur, dans l’opulence d’un loft avec rooftop, au milieu d’une famille comprenant le Garde-chasse et le Marmiton – présentés, ici, comme un couple hétérosexuel –, la Princesse étrangère et quatre figurants. Pendant le duo d’amour, à la fin du I, Rusalka fait sécher le linge ; au début du II, le Prince enlève ses chaussettes. Et au III, des anguilles giclent des faux plafonds…

Il n’est donc pas seulement question d’actualisation, mais aussi de recherche, à tout prix, de la caricature, du vulgaire et du sordide. Le merveilleux semble à ce point banni, qu’on pourrait presque trouver beau, car juste moins laid, le décor du III : des caves mangées par l’humidité, dans une lumière jaune blafarde, où l’on retrouve Rusalka et sa queue sans fin. Les chœurs sont laissés hors scène – solution de facilité –, et il revient à l’héroïne d’assurer seule le ballet du II, entre masturbation sur un coussin, cris primaux et mauvais numéro de cabaret.

On est gêné de voir Christiane Karg, manifestement mal à l’aise, astreinte à cet exercice, alors que les exigences vocales du rôle sont, déjà, élevées. Au-delà des réserves sur ses prestations chorégraphiques et théâtrales, la soprano allemande s’en sort aussi honorablement que possible : l’instrument est un peu mince, mais souple et sonore dans l’aigu, le grave et le médium manquant, en revanche, de substance.

Pavel Cernoch campe un Prince élégant, mais qu’on aimerait, parfois, moins fade et plus engagé. Anna Samuil prête puissance et mordant à la Princesse étrangère, bien qu’au prix d’une intonation imprécise. Quant à Anna Kissjudit, c’est une impeccable Jezibaba. Mika Kares, indisposé, ne fait que jouer Vodnik, Tuomas Pursio chantant le rôle depuis le bord de la fosse.

Dès l’Ouverture, prise à un tempo habité, Robin Ticciati semble se donner pour mission d’insuffler à la partition un maximum de beauté, pour compenser ce qui se voit sur scène. Il y parvient plus d’une fois et, même si sa direction peut, dès lors, sembler plus hédoniste que théâtrale, son mérite est grand. Avec les musiciens de la Staatskapelle de Berlin, le chef britannique sauve les meubles.

NICOLAS BLANMONT

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