Théâtre des Arts, 10 juin
Comme à Toulouse, en décembre dernier (voir O. M. n° 179 p. XX de février 2022), cette production du metteur en scène et chorégraphe français Pierre Rigal, reprise par l’Opéra de Rouen Normandie avec un chef et une distribution différents, souffre d’un dispositif complexe, dans lequel Mozart et Schikaneder, côté cour, assistent au spectacle, dont on devine qu’ils sont en train de l’imaginer et le monter. Bien qu’un peu trop affectés, les comédiens – May Hilaire et Matthias Hejnar – ne sont pas en cause ; néanmoins, tenus de « traduire » les récitatifs, ils contraignent les chanteurs à mimer leur texte, lesquels y perdent une grande part de spontanéité.
Ainsi, le comique de Papageno – incarné par le baryton allemand Benjamin Appl, par ailleurs très convaincant du point de vue vocal – s’en trouve passablement réduit, au point que l’épisode de la pendaison passe presque inaperçu. Pourtant, son arrivée en deltaplane, parfaitement nonchalante et décontractée, augurait du meilleur. Mais, souvent, le chanteur semble réduit à un mime mécanique, qui le voit dodeliner de la tête, en agitant ses mains de droite à gauche.
C’est d’autant plus regrettable que le duo qu’il forme avec Tamino, qu’il dépasse d’une bonne tête, est particulièrement réussi. Dans des vêtements trop grands pour lui, Juan Francisco Gatell apparaît ici comme un peu benêt. La musicalité du ténor argentin lui permet d’affiner le rôle vers plus de dignité princière, grâce à une émission précise et des graves solides.
Affublée d’une vaste robe à paniers stylisée, la soprano canadienne Elisabeth Boudreault joue de sa taille menue pour conférer à Pamina des allures de poupée. Dans son ingénuité, l’actrice est subtile, qui traduit les émois d’un cœur neuf et les soubresauts des premières déceptions. La voix est lumineuse dans les aigus, assurée dans le médium, et la musicalité parfaitement accomplie. Quelle prestation !
La soprano russe Galina Benevich a tous les aigus de la Reine de la Nuit, qu’elle économise quelque peu dans son premier air, mais rend acérés et tranchants dans le second, sans que la diction en souffre. Le personnage est solidement campé, plus nuancé que ce que le livret en offre. La basse polonaise Krzysztof Baczyk affirme, avec sa voix emplie de graves profonds, presque rugueux parfois, toute la dignité de Sarastro. Enfin, côté français, on saluera le Monostatos rageur et finaud d’Enguerrand de Hys, ainsi que la mutine Papagena de Sandrine Buendia.
Avant la représentation, des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra de Rouen distribuent des tracts, pour dire leur opposition à une fusion avec l’Orchestre Régional de Normandie. Est-ce cela qui entrave les premières mesures ? Un troublant manque de cohésion se fait sentir, qui nuit à la lisibilité du propos, avec des bois fort peu à leur aise. Progressivement, sous la baguette du Britannique Ben Glassberg, son directeur musical, la phalange retrouve son unité pour se mettre efficacement au service du plateau.
JEAN-MARC PROUST