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La délicatesse du Journal d’Hélène Berr à l’Opéra du Rhin

14/12/2023
Adèle Charvet (Hélène Berr). © Klara Beck

Comédie de Colmar, 6 décembre

Il y a Anne Frank : son destin tragique est connu. Il y a, également, Hélène Berr (Paris, 1921-Bergen-Belsen, 1945), elle aussi victime de l’idéologie nationale-socialiste, et dont le Journal a été publié, en 2008, par les éditions Tallandier.

Comme il songeait à une partition pour le Quatuor Béla, Bernard Foccroulle (né en 1953) a eu l’idée d’en faire un « monodrame lyrique » pour mezzo-soprano, piano et quatuor à cordes, reprenant là un effectif instrumental, utilisé par Schumann, Brahms, Franck et quelques autres. Un opéra intime, donc, conçu par le compositeur belge, en contrepoint à Cassandra, sa vaste partition pour solistes et grand orchestre, créée à la Monnaie de Bruxelles, en septembre dernier (voir O. M. n° 187 p. 50 de novembre 2023).

Avant d’être monté par l’Opéra National du Rhin, son commanditaire, Le Journal d’Hélène Berr a été donné, en version de concert, au Trident, à Cherbourg, le 3 mai 2023, puis repris au Théâtre des Bouffes-du-Nord, à Paris, et au Méjan, à Arles. Le voici donc, à la Comédie de Colmar, en compagnie des mêmes interprètes, et cette fois pourvu d’une mise en scène, signée Matthieu Cruciani.

On peut difficilement imaginer spectacle plus dépouillé et plus délicat. Dans une scénographie de Marc Lainé, réduite à peu d’éléments – une table, quelques chaises –, neuf panneaux de tulle montent et descendent avec lenteur : ils figurent, à la fois, les pages du Journal et la menace qui pèse sur son autrice et les siens.

Sensible à la lumière du ciel, amoureuse déçue, puis passionnée, mais rétive à toute effusion (elle quitte un certain Gérard pour Jean Morawiecki, à qui reviendra le Journal, en 1945), riche d’une connaissance approfondie de la littérature française et de la poésie anglaise, Hélène passe insensiblement de l’inquiétude à l’exaltation, de la mélancolie à l’angoisse.

Bernard Foccroulle cerne au plus près son élégance intellectuelle et la richesse de ses sentiments. Il a conçu un opéra en deux parties de huit et sept scènes, qui reprennent le découpage du Journal écrit par la jeune femme (avril-novembre 1942, octobre 1943-février 1944).

Le livret, qu’il a mis au point d’après le Journal lui-même, contient quelques pages en anglais de Keats et de Shelley (des poètes chéris par Hélène). Et même un lied de Schumann, Ich hab’ im Traum geweinet (J’ai pleuré en rêve), car la protagoniste se refuse à haïr : la langue de celui qui va bientôt l’arrêter n’est pas son ennemie.

Violoniste elle-même, Hélène Berr vénérait Beethoven, ce qui permet à Bernard Foccroulle de citer également, dans sa partition, quelques mesures du Quatuor à cordes n° 15 op. 132.

Hélène, c’est ici Adèle Charvet, dont le mezzo sans noirceur dit toute la noblesse du personnage et les nuances sans fin de sa réflexion. Elle passe, avec la même grâce, du parlé au chanté, et porte, en fonction des moments du drame, une robe de printemps ou un manteau, où est fichée l’étoile jaune.

Tantôt âpre, tantôt d’une douceur consolatrice, glissant d’une mélodie souterraine à une suite de pizzicatos, qui griffent dans le vide, la musique composée par Bernard Foccroulle pour le quatuor à cordes est le reflet des humeurs de l’héroïne. Le piano ajoute une dose de violence percussive et d’inquiétude harmonique, qui nous rappelle la détresse des temps.

Les instrumentistes font, eux aussi, partie intégrante du spectacle : côté jardin, à gauche des deux machinistes qui manipulent les panneaux de tulle, Jeanne Bleuse joue, d’une certaine manière, le rôle de la sœur d’Hélène Berr, Denise, qui était pianiste. Côté cour, les membres du Quatuor Béla sont côte à côte – et non pas disposés en arc de cercle –, comme les témoins d’un drame intime.

On pourra simplement regretter qu’en guise d’épilogue, les cinq musiciens racontent la mort d’Hélène en déportation – très affaiblie par le typhus, elle succombera sous les coups d’une gardienne du camp de Bergen-Belsen, quelques jours avant que les survivants de ce dernier soient libérés.

Terminer sur les mots du Journal, « Et c’était fini. Horreur ! Horreur ! Horreur ! », aurait permis une fin plus abrupte, et par là même, moins enracinée dans l’Histoire. Sans volonté démonstrative, voilà, toutefois, une partition qui met la tension brûlante d’une voix et de cinq musiciens au service de l’esprit et de sa capacité à résister.

CHRISTIAN WASSELIN

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