Théâtre Royal, 24 octobre
Quelle surprise de lire, dans la déclaration d’intention d’Aurore Fattier, qui signe cette nouvelle production de Katia Kabanova, présentée par l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, que l’œuvre « est très peu connue en France et en Belgique » et que « c’est l’un des opéras les moins joués » de Janacek !
Sans doute la metteuse en scène française, directrice de la Comédie de Caen/Centre Dramatique National de Normandie, est-elle trop jeune pour se souvenir, à l’Opéra National de Paris, du spectacle de Götz Friedrich, qui fit les beaux soirs du Palais Garnier, de 1988 à 2000, avant celui de Christoph Marthaler, que Gerard Mortier fit venir de Salzbourg, en 2004. Ou, à la Monnaie de Bruxelles, de celui de Philippe Sireuil, auquel a, plus récemment, succédé celui d’Andrea Breth. Et comment ne pas évoquer la production de Robert Carsen, créée en 2004, à l’Opera Vlaanderen ?
Dans cette même déclaration d’intention, Aurore Fattier affirme : « J’aime dire que nous proposons une lecture «éco-féministe» de cet opéra ; avec mon équipe artistique, nous avons choisi d’inscrire l’intrigue dans un temps qui pourrait être un futur proche, sur une terre désolée, où la guerre n’est pas loin, où la nature tente de survivre, alors que la crise écologique et climatique est à l’œuvre. » Rien, dès lors, ne semble manquer au firmament des préoccupations contemporaines… sauf qu’on n’en trouve pas vraiment trace sur le plateau.
Mieux vaut, donc, se concentrer sur la réalisation, qui ne démérite pas – même si elle n’atteint pas le niveau de celles précédemment citées. Le décor représente la terrasse d’un café, donnant sur la Volga, ce fleuve si puissant, symbole de la Russie éternelle, et élément naturel, cher au panthéisme de Janacek.
Il est figuré, dès les premiers instants du spectacle, sous la forme d’un film, la plupart du temps en noir et blanc, qui ponctue de nombreux moments de l’action. Une bonne idée, qui instaure un climat de nostalgie et de brume. Comme est poétique, celle d’avoir fait de Koudriach, le personnage qui ouvre l’opéra en s’exclamant, justement, sur les beautés de la Volga, un aveugle – c’est la musique qui, à cet instant, décrit le fleuve.
Des bonnes idées, il y en a bien d’autres, dans le spectacle d’Aurore Fattier, mais qui ne se traduisent pas toujours par une direction d’acteurs très serrée. Les chanteurs semblent, en effet, souvent livrés à eux-mêmes, et n’échappent pas à certains stéréotypes. La plupart, pourtant, tirent leur épingle du jeu.
C’est le cas d’Alexey Dolgov, qui, avec sa voix claire et bien timbrée, donne vie à Koudriach, offrant à l’œuvre un peu de légèreté et d’optimisme. Il en va de même de Magnus Vigilius, qui campe un Tikhon aux moyens colossaux – le ténor danois incarnait, récemment, le rôle-titre de Siegfried, à Bruxelles –, de Dmitry Cheblykov, Dikoï viril et dépoitraillé, qui met en avant la brutalité et la vulgarité du personnage, et de Nino Surguladze, Kabanicha en imposant par son registre grave puissant.
En Varvara, Jana Kurucova apporte, à l’inverse, fraîcheur et lumière à la soirée, avec son timbre de mezzo léger et fruité. Boris, enfin, est campé par Anton Rositskiy, qui donne une image assez juste de ce héros un peu falot et veule.
Reste le cas d’Anush Hovhannisyan en Katia. Certes, la voix est belle, bien timbrée sur toute la tessiture, et ample – presque trop. La soprano anglo-arménienne chante avec beaucoup de science et de raffinement. Mais peut-on vraiment croire à son personnage ? Dès qu’elle apparaît, sous son châle, à la sortie de la messe, elle semble marquée par le poids de la tragédie, et son jeu, comme sa présence en scène, un peu monolithique, n’évoluent guère.
Heureusement, dans la fosse, Michael Güttler réconcilie tout le monde. La battue du chef allemand épouse la prosodie si particulière de Janacek, et s’étire comme la Volga, qui emporte tout sur son passage. On y entend autant les forces de la nature déchaînée que le désespoir d’une femme qui se croit coupable.
PATRICK SCEMAMA