Opéra, 10 novembre
Le mélange des genres est un exercice louable dans son intention, mais quelquefois périlleux dans sa réalisation. Le pianiste et compositeur français Jean-Marie Machado (né en 1961) a tenté l’aventure, pour cette création mondiale, à l’Opéra de Rennes, en imaginant La Falaise des lendemains, qui se présente comme un « diskan jazz opéra » en trois époques.
Ce mélange s’effectue, également, par les langues employées (« diskan », en breton, signifie « contre-chant »). On parle et on chante en breton, la plupart du temps, tandis que certains personnages s’expriment en anglais (mais parfois en français), et que d’autres préfèrent le français (mais parfois l’anglais). L’idée n’est pas sans mérite, mais ces passages d’une langue à l’autre, sans raison impérieuse, en gomment l’efficacité.
Le livret, signé Jean-Jacques Fdida, se découpe en trois tableaux enchaînés : le premier met en scène, sur les quais de Roscoff, le proxénète Dragon, qui protège ses employées Maureen et Yuna, tout en harcelant la pure Lisbeth. L’arrivée de Chris, un marionnettiste venu de Guernesey, dont Lisbeth tombe amoureuse, déclenche la jalousie de Dragon, qui fracasse le visage et les doigts de Chris.
Le deuxième tableau se situe pendant la Première Guerre mondiale. Dragon multiplie les trafics illicites, cependant que Chris et Lisbeth sont soignés chacun dans un hôpital, cette dernière étant paraplégique, depuis qu’elle a sauté d’une falaise pour se suicider. Et s’ils se retrouvent au troisième tableau, l’un et l’autre sur le chemin de la guérison, Chris, à bout de forces, meurt dans les bras de Lisbeth.
Sur cette trame romanesque, Jean-Marie Machado a écrit une musique qui relève, à la fois, du jazz, de la comédie musicale, du rock… et penche, de temps en temps, du côté de la musique savante, avec des souvenirs de folklore breton. À l’écoute, on se croit, ainsi, entre Les Parapluies de Cherbourg et West Side Story, avec quelques clins d’œil du côté de Pagliacci, pour l’expression de la jalousie, dans une atmosphère consonante qui ne rechigne pas aux coquetteries harmoniques.
Les airs et les ensembles se succèdent, soutenus par des mélodies simples, et reliés par des récitatifs ou des dialogues. Mais ce qu’on pourrait apprécier de la musique est, malheureusement, gâté par l’amplification des voix et des instruments, qui produit inévitablement un son épais, confus, sans dynamique, ni relief. Au hasard d’un solo de clarinette ou de violoncelle, qui vient, tout à coup, aérer ce tissu uniforme, on se prend à rêver à ce que donnerait la partition, libérée d’une pareille entrave…
Jean-Marie Machado fait intervenir quatre chanteuses et quatre chanteurs, venus d’horizons musicaux différents. Aucun ne démérite, même si les micros, encore une fois, effacent les qualités propres à chacun. On apprécie le timbre rugueux du baryton Florian Bisbrouck en Dragon, l’interprétation sensible que donne la mezzo Yete Queiroz du personnage douloureux de Lisbeth, et la voix, légère et rêveuse, du ténor Vincent Heden en Chris, qui contraste, avec bonheur, avec la présence discrète du baryton Gilles Bugeaud en Don.
Dirigé par Jean-Charles Richard, l’orchestre Danzas, qui réunit six instruments à cordes, cinq vents, un accordéon, trois percussionnistes, un joueur de guitare et de banjo, le compositeur, lui-même, se chargeant de la partie de piano, est installé sur le plateau.
Cela laisse peu de place à la mise en scène de Jean Lacornerie, qui se contente de quelques accessoires (un échafaudage, des filets de pêche, des masques évoquant le gaz dans les tranchées, quelques marionnettes trop peu employées) et s’agrémente de figures chorégraphiques, réglées par Raphaël Cottin.
Deux ou trois belles idées ponctuent une narration claire et lisible, comme ce tubiste – l’excellent François Thuillier – qui, par jeu, empêche Chris et Lisbeth de se retrouver.
CHRISTIAN WASSELIN