Deutsche Oper, 1er mai
Deuxième épisode du cycle Richard Strauss, confié à Tobias Kratzer, au Deutsche Oper de Berlin : après une Arabella qui n’avait pas totalement convaincu (voir O. M. n° 192 p. 39 de mai 2023), Intermezzo (Dresde, 1924), « comédie bourgeoise avec interludes symphoniques » (« Bürgerliche Komödie mit sinfonischen Zwischenspielen »), se révèle plutôt réussi, nonobstant certains biais qui peuvent surprendre.
Pas tellement celui de l’actualisation, traditionnel chez le metteur en scène allemand. Ainsi, Storch empile ses valises dans un gros taxi Mercedes-Benz, sous les remarques de son épouse Christine, en jeans et pull d’intérieur ; la rencontre de la jeune femme avec le Baron ne se fait pas en luge, mais lors d’un banal accident de la circulation – elle dans un gros SUV noir, lui dans une petite auto rouge…
Mais cette « modernité » induit, aussi, des modifications dans les relations. Le Baron sort déjà du lit de Christine, à la troisième scène, quand ils sont censés danser, et c’est donc une épouse moins naïve et plus cynique, qui se scandalise des infidélités supposées de son mari. Peut-être une façon, pour Tobias Kratzer, de « compenser » un livret assurément patriarcal, et qui ne doit, sans doute, qu’à la rareté de l’œuvre d’avoir échappé, jusqu’ici, aux tenants des interdictions.
Est-ce pour ne pas s’aliéner le public ? Fine mouche, le metteur en scène ajoute un deuxième degré de lecture pour les mélomanes initiés : non seulement Franzl, le fils du couple Storch, est un surdoué en frac, qui regarde les prestations de son père à la télévision, devant une boîte Lego de l’Opéra de Sydney, mais le spectateur s’amusera, surtout, à reconnaître, notamment dans la garde-robe de Christine, les multiples références à d’autres opéras du compositeur, et même des images d’autruches (Strauss, en allemand), qui apparaissent, soudain, au détour d’un écran.
Musicalement, la soirée est à marquer d’une pierre blanche, avec un Donald Runnicles constamment inspiré, qui dose à merveille couleurs, contrastes et expressions des sentiments, à la tête d’un orchestre maison en grande forme, exhalant splendidement le génie de chacun des interludes symphoniques – et qui apparaît, d’ailleurs, sur grand écran, à chacune de ces pages.
Straussienne de renom, Maria Bengtsson campe superbement Christine, passant avec aisance du parlé au chanté, et restituant, avec finesse, les différents aspects, parfois contradictoires, du rôle, créé par la légendaire Lotte Lehmann. Si le médium de la soprano suédoise manque parfois de projection, l’aigu, rond, plein et juste, est souverain.
Remplaçant, plus tôt que prévu, Thomas Johannes Mayer, qui devait assurer les premières représentations de la série – et reste visible sur certaines images préenregistrées –, le baryton allemand Philipp Jekal ne confère pas le même charisme à Storch, et semble tout chanter dans une même expression un peu monochrome.
Avec ses moyens larges et solides, le ténor belge Thomas Blondelle incarne un Baron qu’on aurait bien qualifié de première classe, si la conception très plébéienne qu’a Tobias Kratzer du personnage – maillot de corps, casquette et manières de garçon de bains – ne l’avait, de facto, dégradé. Quant aux comprimari, ils sont tous excellents.
NICOLAS BLANMONT