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Il diluvio universale sur fond d’ultime festin à Bergame

13/12/2023
Nahuel Di Perro (Noè, au centre). © Gianfranco Rota

Teatro Donizetti, 17 novembre

Capitale italienne de la Culture (avec Brescia), en 2023, Bergame se devait d’intégrer le « Donizetti Opera Festival » dans cette vaste manifestation – une forme de renaissance, après une pandémie particulièrement cruelle dans cette région d’Italie. C’est donc, logiquement, dans la thématique « Cité de la Nature » que s’inscrit Il diluvio universale, donné en ouverture, et pour lequel on a fait appel au collectif Masbedo.

Le « duo artistique », formé par Nicolo Massazza et Iacopo Bedogni, n’a pas manqué de faire la connexion entre le Déluge biblique et l’accélération actuelle, si inquiétante sur notre planète, des catastrophes naturelles dues à l’action humaine – la surdité de Cadmo aux avertissements de Noè pouvant, en effet, évoquer la politique de l’autruche suivie par tant de dirigeants, face à l’urgence climatique.

D’où un pré-spectacle, à l’entrée du Teatro Donizetti, où le public est accueilli par des militants écologistes, en cirés de toutes les couleurs, nous avertissant, entre autres, de la dévastation de la flore marine, vidéos à l’appui.

D’autres vidéos nous seront servies, ensuite, jusqu’à plus soif, pendant toute la représentation, sur un écran géant, alternant images de catastrophes naturelles, d’espèces animales et végétales menacées, mais aussi de dépeçages et d’éviscérations d’animaux divers, en vue de ripailles…

Le tout mêlé à des images filmées en direct, ce grand classique des productions actuelles : chanteurs se préparant en coulisses, et même gros plans de personnes se goinfrant, sur scène, de façon répugnante – puisque dans cette dénonciation, assez lourdingue, de la course à la surconsommation, où nous serions tous embarqués, le plateau figure l’ultime festin de l’humanité, en 2050 !

Quoique assez bancal, voire inepte, car bourré d’anachronismes (que viennent faire les satrapes, dont Cadmo est le chef, à l’époque mythique du Déluge ?), le livret de Domenico Gilardoni mériterait d’être mieux défendu, sans être pris en otage par une cause, aussi urgente et louable soit-elle. D’autant que ce spectacle, qui se veut massue, dessert une œuvre puissante et, par moments, grandiose, où, dans ce contexte de catastrophe imminente, les rivalités entre les concubines de Cadmo paraissent, fatalement, bien dérisoires…

En ce soir de première, l’équipe de production est accueillie par une bronca, à peine atténuée par quelques applaudissements, tandis que la partie musicale est, à juste titre, acclamée.

Cette « azione tragico-sacra » est présentée dans la version originale de 1830, pour Naples, plutôt que dans la révision de 1834, pour Gênes. La solide direction de Riccardo Frizza montre un très efficace savoir-faire, même si l’on peut imaginer, ici, davantage de sens du mystère – la lecture scénique n’y invite guère, il est vrai –, là, plus d’énergie pour les passages d’action. Le chœur de l’Accademia Teatro alla Scala sonne plutôt bien, mais ne montre pas beaucoup d’aptitude à la nuance : ainsi de l’avancée nocturne des troupes de Cadmo sur Noè et sa famille, notée sotto voce, mais rendue mezzo forte.

Dans le rôle de Noè, Nahuel Di Pierro fait valoir sa bonne voix et son indéniable présence. Mais pour évoquer le grand Luigi Lablache, son créateur, il faudrait, sans doute, un instrument plus ample, un grave plus imposant et un verbe plus visionnaire. Pas vraiment belcantiste, la basse argentine se montre, par ailleurs, souvent assez floue, de ligne comme d’intonation.

Pour la partie plus payante de Sela, Giuliana Gianfaldoni se jette avec feu dans la bataille. Voix projetée et longue, à défaut d’être spécialement belle, et technique solide, sinon toujours de grande classe, la soprano italienne assume le large ambitus avec aplomb, même si l’on peut rêver plus de précision dans les vocalises, de chiaroscuro dans le cantabile et de franchise dans l’aigu. Une prestation estimable, donc, transcendée au moment du foudroiement, où l’héroïne expire en d’exquis pianissimi.

Des trois protagonistes, c’est finalement le Cadmo d’Enea Scala qui convainc le mieux, voix ferme et aisée, au registre supérieur brillant, et au médium suffisamment charnu. Fort d’une énergie sans faille et d’une belle prestance, le ténor italien assume avec panache son grand air, dont il orne très pertinemment la reprise, le mordant du timbre et l’assurance scénique servant bien l’arrogance aveugle du personnage.

Parmi les nombreux petits rôles, on remarque, en Artoo, le ténor robuste de Wangmao Wang et, en Ada, le mezzo chaleureux de Maria Elena Pepi, membre de la « Bottega Donizetti », l’académie pour jeunes chanteurs de la Fondazione Teatro Donizetti.

THIERRY GUYENNE

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