Théâtre Royal, 24 septembre
Au milieu du foisonnement actuel des nouvelles productions d’Idomeneo (Munich, 1781), et pour cette première représentation in loco depuis 1986, l’Opéra Royal de Wallonie-Liège a choisi la voie de la sagesse. L’esthétique de Jean-Louis Grinda et sa mise en scène, dont le concept reste général et prudent, se dévouent, en effet, entièrement à une lecture fidèle du livret et de la partition.
Le spectacle est, pour cela, d’abord servi par les très beaux costumes de Jorge Jara. Autant pour la sûreté du dessin, la qualité des matériaux, et la palette de couleurs admirablement assorties, que pour une belle intelligence des profils psychologiques – jusqu’à la figure secondaire d’Arbace, qui en prend un relief tout à fait inusuel.
Ainsi de l’élégante longue robe d’un rouge pourpre brûlant d’Elettra, conduisant naturellement aux éclats de sa sortie vengeresse du III ; et, plus subtilement, du vêtement tout en demi-teintes d’Ilia, dont la douceur générale manifeste aussi la complexité du personnage, en face d’un Idamante plus carré et d’un Idomeneo d’une respectabilité et d’une autorité toutes paternelles. Ces costumes connotent aussi, avec force, l’univers de l’Antiquité orientale, qu’évoquent encore ces quelques figures mythiques de divinités inquiétantes, qui assistent de loin à l’action.
Le plateau est dominé, dans une vision panoramique, par un vaste paysage marin, avec les rouleaux d’un océan aux reflets nacrés – belle vidéo d’Arnaud Pottier –, d’où se détache, au centre, le relief d’une grande sculpture abstraite. Sur les panneaux géométriques qui la composent apparaissent, par moments, des yeux menaçants, suffisant à évoquer, de manière très suggestive, la puissance omniprésente du dieu Neptune.
De ce décor à la fois sobre et raffiné de Laurent Castaingt, on pourra discuter seulement les quelques éléments d’architecture mobiles, qui cherchent à délimiter au sol, et plus artificiellement, les différents espaces de jeu.
Dans une interview, Nino Machaidze a été claire : Jean-Louis Grinda a laissé aux chanteurs « une totale liberté » pour créer leurs personnages et « développer leurs émotions les plus enfouies ». Cette conception, peut-être risquée, de la direction d’acteurs a, cette fois, visé juste, avec un plateau remarquablement homogène et performant sur ce plan, et d’une parfaite maîtrise dans la gestuelle.
À commencer par l’intéressée qui, pour son premier rôle mozartien depuis 2007, incarne, ici, Elettra. D’une parfaite aisance dans l’élégiaque « Idol mio », la soprano géorgienne est vraiment éblouissante dans le spectaculaire « D’Oreste, d’Aiace », que concluent des vocalises insolentes.
Maria Grazia Schiavo lui oppose une Ilia attachante et sans mièvrerie, souveraine dans la nuance, particulièrement émouvante dans « Se il padre perdei », puis soutenant le beau phrasé de « Zeffiretti lusinghieri ». Quant à l’Idamante d’Annalisa Stroppa, au mezzo très viril, et d’une présence intense, on ne pourrait lui reprocher qu’un chant souvent trop appuyé, eu égard, surtout, aux dimensions moyennes de la salle.
Riccardo Della Sciucca donne une splendide aria d’Arbace, au début du III, avec un aigu glorieux. Et l’on admire, enfin, l’Idomeneo lumineux du ténor américain Ian Koziara, souverain à la fois musclé et intériorisé, impeccable dans un « Fuor del mar » attaqué très crânement.
Une nouvelle fois, le Chœur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège est à son niveau d’excellence, pour ses puissantes et décisives interventions. Au pupitre, Fabio Biondi enchante par cette alliance de fermeté et d’impeccable précision, portant d’un élan irrésistible les audaces constamment renouvelées de la géniale partition de Mozart.
FRANÇOIS LEHEL