Opéra, 27 mars
Grisaille. Ce terme, à lui seul, pourrait résumer la nouvelle production d’Idomeneo (Munich, 1781), présentée par l’Opéra Grand Avignon. Alors que se joue un drame périphérique à la guerre de Troie, alors que des passions se déchaînent, alors que la colère, les regrets et l’attachement imprègnent ce premier opéra de la maturité mozartienne, tout ici paraît terne et désincarné.
Point de couleur, donc. Sandra Pocceschi et Giacomo Strada ont pris le parti du gris, du sale, du souillé. Est-ce pour laisser entendre que les cendres de la ville détruite ont volé jusqu’aux rives crétoises ? Est-ce pour montrer les stigmates d’un conflit qui a anéanti ceux qui étaient sur place, mais également ceux qui sont demeurés dans leur patrie ? Quoi qu’il en soit, il n’y a pas ici de vainqueurs. Grecs comme Troyens sont à égalité dans le malheur, et leurs costumes sont à peine différenciables.
Triste, encore, le décor. D’un canon qu’on démonte pour signifier le retour de la paix, on passe à un volcan qui, après une brève éruption, à la fin du II, redevient lave, roche noire et rugueuse. Dans cette atmosphère étouffante, il est aussi question de chaînes, dont on tente de se libérer, mais qui emprisonnent sans cesse : au devoir, à l’amour, au destin qui s’acharne sur ces héros de la mythologie.
On aurait pu espérer que la clarté jaillisse des voix, que Mozart a voulues presque exclusivement dans le registre aigu. Mais, là aussi, tout est éteint. Jonathan Boyd est doté d’un joli timbre ; si sa projection impeccable assure à son Idomeneo une présence convaincante, il peine dans les vocalises et les décalages avec l’orchestre ne sont pas rares. Dommage, car le ténor américain se montre assez crédible en père rongé par la culpabilité.
Albane Carrère est un Idamante sans grand relief. C’est juste, c’est propre, c’est charmant, mais on a du mal à concevoir que deux femmes se battent pour les faveurs de ce futur roi. L’émission manque de corps, et la mezzo-soprano française semble en difficulté dans cette mise en scène, où elle passe beaucoup de temps à se harnacher ou se défaire de cordes et de rubans.
Mauvais jour pour Chiara Skerath, dont la voix est presque méconnaissable. On devine la rondeur du timbre, l’aisance dans les vocalises et les aigus, mais chaque tenue de note est compromise par un vibrato envahissant. La soprano belgo-suisse incarne toutefois une belle Ilia, tout en pudeur et noblesse.
Elle apparaît ainsi comme l’exacte antithèse de l’hystérique Elettra, caricaturée en une sorte de Walkyrie borgne, saucissonnée dans un corset et des escarpins à lacets. Est-ce pour les besoins de cette vision que la soprano turque Serenad Uyar crie plus souvent qu’elle ne chante, ravissant cependant le public par l’aisance de ses aigus, rodés au contact de la Reine de la Nuit ? Arbace est, quant à lui, sobrement incarné par le ténor italien Antonio Mandrillo, juste et solide.
Le véritable héros de cette production est, finalement, le Chœur de l’Opéra Grand Avignon. On y trouve des couleurs, des nuances, de la lumière, de la chair, du souffle épique. Chaque intervention de cette formation, remarquablement préparée par Aurore Marchand, est un ravissement.
La direction de Debora Waldman est précise, et efficace. Peu de surprise, cependant, dans ce Mozart très classique et sans aspérité. Quant à l’Orchestre National Avignon-Provence, si son pupitre des cordes est irréprochable, celui des vents est parfois un peu trop présent, bousculant l’équilibre harmonique.
KATIA CHOQUER