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Florencia en el Amazonas en panne d’originalité à New York

08/12/2023
Ailyn Pérez (Florencia Grimaldi). © Met Opera/Ken Howard

Metropolitan Opera, 27 novembre

Plus d’un quart de la population de la ville de New York est hispanique. Il était donc grand temps, pour le Metropolitan Opera, de monter à nouveau, dans le sillage des compagnies de Houston, Los Angeles et San Diego, des ouvrages en langue espagnole – ce qui n’avait plus été le cas, depuis les représentations de La vida breve de Falla, en 1926, seulement précédées de la création de Goyescas de Granados, dix ans plus tôt.

À cet égard, la presse locale semble, toutefois, avoir oublié que le New York City Opera, qui s’était aventuré sur cette voie, dans les années 1950, avait ouvert son nouveau théâtre, en 1966, avec Don Rodrigo de Ginastera (interprété par Placido Domingo), suivi de Bomarzo et Beatrix Cenci

Alors qu’au moins deux opéras, aussi excellents qu’intellectuellement profonds, de compositeurs latino-américains – El ultimo sueño de Frida y Diego de Gabriela Lena Frank et Ainadamar d’Osvaldo Golijov – sont prévus au Met, dans les saisons à venir, l’ouvrage choisi comme fer de lance de l’expansion du répertoire de la maison dans cette direction est, hélas, indigne des moyens et de l’énergie dépensés.

Florencia en el Amazonas (Houston, 1996), une collaboration entre les artistes mexicains Daniel Catan (1949-2011), pour la musique, et Marcela Fuentes-Berain, pour le livret, n’est pas difficile à écouter – comme une musique de film, riche en calories –, et a connu un certain succès dans les compagnies régionales américaines. Mais la partition et le texte manquent d’originalité.

Daniel Catan était un orchestrateur habile, mais il semble qu’il n’y ait pas une phrase personnelle dans toute son œuvre. Et certainement rien qui n’aurait pu être déjà composé, à l’époque de Granados ! On est stupéfait d’entendre des ersatz de Puccini et Richard Strauss se déverser depuis la fosse. Le long duo des jeunes amants mêle La fanciulla del West et Il tabarro – deux opéras créés au Met –, et la partition est hantée, à la fois, par Der Rosenkavalier et Die Frau ohne Schatten.

Si l’écriture vocale est plutôt gratifiante pour les chanteurs, le contenu mélodique est banal, et répétitif. De plus, l’histoire repose, en grande partie, sur l’atmosphère d’un voyage, censément émotionnel, sur un bateau fluvial se dirigeant vers Manaus, au Brésil, et évoquant les défis sentimentaux, auxquels sont confrontés les couples contrastés de la série télévisée à succès,The Love Boat (La Croisière s’amuse, 1977-1987).

Une fois encore, Peter Gelb a fait appel à Mary Zimmerman, figure de proue de la scène théâtrale américaine, malgré ses antécédents largement décevants au Met. Sa production de Florencia en el Amazonas évite, certes, le désastre pur et simple d’Armida (2011), ou le mépris pour le matériau de La sonnambula (2014). Mais elle se révèle, dans l’ensemble, à l’instar de la partition et du livret, un recueil de clichés, sans aucune prétention intellectuelle.

On ne peut pas reprocher à la metteuse en scène de ne pas s’être intéressée aux personnages en profondeur, car seul le rôle de Florencia Grimaldi possède une complexité psychologique – quoique toute relative. Ainsi, l’héroïne, dans sa « Mort d’amour » vériste, conclut que c’est l’amour de sa vie, un chasseur de papillons disparu en Amazonie, qui a nourri son art de cantatrice – un ingrédient digne de ces populaires romans érotiques, sur fond historique.

Les éléments les plus forts de la production sont les costumes imaginatifs d’Ana Kuzmanic et les lumières atmosphériques de T.J. Gerckens. Mais les évocations de la jungle et du bateau pâlissent rapidement. Et si trois habiles marionnettistes propulsent sur la scène des créatures d’une conception charmante, leur impact diminue, comme pour les danseurs, dans leurs costumes spectaculaires, évoquant des piranhas, un colibri et un héron, à chacune de leurs – nombreuses – apparitions. Le seul coup de théâtre réussi est la transformation finale de Florencia en papillon.

De même que le regretté James Levine avant lui, Yannick Nézet-Séguin est devenu, par sa notoriété en tant que directeur musical du Met, un héros de la culture locale, acclamé avec autant de véhémence, que son travail soit merveilleux ou moins idéal. Ici, il réussit à tirer de ses musiciens experts les sonorités extatiques exigées par la partition, mais est aussi la proie de sa fréquente tendance à noyer les chanteurs.

L’Américaine Ailyn Pérez possède un soprano sain et épanoui, aussi lumineux que sa belle présence scénique, et elle a récemment ajouté à son répertoire des rôles nécessitant davantage de poids, comme Rusalka et Tosca. Mais, aussi splendide que soit son chant en Florencia – avec des pianissimi flottants particulièrement exquis –, le chef canadien la pousse, à plusieurs reprises, en surrégime.

Pour ses débuts au Met, le baryton italien Mattia Olivieri fait preuve d’un charme personnel et d’un beau legato, dans le rôle délicat de Riolobo (l’Esprit du fleuve), qui raconte au public ce que nous savons déjà, ou que nous sommes sur le point d’apprendre sur les personnages.

En Paula et Alvaro, couple âgé et chamailleur, qui – inévitablement – se réconcilie, les professionnels expérimentés que sont la mezzo espagnole Nancy Fabiola Herrera et le baryton américain Michael Chioldi conservent leur dignité dramatique, bien que la musique que leur destine Daniel Catan soit dépourvue de toute distinction.

Un jeune couple est aux prises avec des ambitions et des choix de carrière, ainsi qu’avec la peur de l’engagement. Le beau ténor spinto du Guatémaltèque Mario Chang s’est assombri, mais résonne avec squillo dans les phrases les plus aiguës d’Arcadio, tandis qu’en Rosalba, journaliste lancée sur les traces de la diva, l’Américano-Nicaraguayenne Gabriella Reyes utilise son soprano vibrant avec une chaleur engageante.

DAVID SHENGOLD

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