De Nationale Opera, 21 avril
Dernier épisode de la « trilogie des reines Tudor », au DNO d’Amsterdam, confiée au tandem formé par Enrique Mazzola, au pupitre, et Jetske Mijnssen, à la mise en scène, cette nouvelle production de Roberto Devereux révèle une continuité discrète, dans les décors néo-classiques de Ben Baur, intérieurs cossus, murs moulurés et hautes portes, avec les deux précédents volets (voir, en dernier lieu, O. M. n° 194 p. 61 de juillet-août 2023).
L’acte I se déroule dans la chambre royale, vite promue au statut de grand salon, où se croisent tous les protagonistes. Même si Élisabeth Ière n’est pas Élisabeth II, l’univers est celui de la série télévisée The Crown – référence explicitement revendiquée par la metteuse en scène néerlandaise –, avec des costumes de la fin du XXe siècle.
Assez vite, on découvre que, tout autour de ce centre du pouvoir, le reste du plateau est un espace dépouillé, où évoluent – dans un bal somptueux – la Cour et le Parlement. Au II et au III, les murs de la chambre disparaissent vers les cintres, pour ne laisser qu’un grand lieu vide, avec juste une estrade au milieu.
À cette élégante sobriété visuelle répond une direction d’acteurs des plus précises. Chaque déplacement a un sens, non seulement pour ceux qui prennent part à l’action, mais aussi pour ceux qui restent sur le plateau, même sans chanter, voire pour les figurants – la confrontation entre Nottingham et Sara, au début du III, se fait en présence des enfants du couple.
Jetske Mijnssen, qui voit dans Roberto Devereux (Naples, 1837) le meilleur opéra de la « trilogie Tudor », montre une Elisabetta très humaine, soulignant que le pouvoir est dans les mains des parlementaires, plus que dans celles de la souveraine. Elle s’intéresse, par ailleurs, autant aux trois autres protagonistes, proposant finalement, avec un soin d’entomologiste, les interactions mutuelles et internes de deux couples d’égale importance – Elisabetta et Roberto, d’un côté, les Nottingham, de l’autre –, qui se déchirent jusqu’à l’anéantissement.
Si elle peut sembler trop jeune pour le rôle de cette reine vieillissante, s’éprenant, sur le tard, d’un de ses courtisans, Barno Ismatullaeva offre à Elisabetta une ampleur vocale et une distinction qui font mouche. Ce que la voix de la soprano ouzbèke offre de largeur induit, cependant, une souplesse inévitablement moindre dans les passages virtuoses.
Charmeur à souhait, mais un peu léger, en début de soirée, le ténor espagnol Ismael Jordi – déjà Percy, ici même, dans Anna Bolena (2022), puis Leicester, dans Maria Stuarda (2023) – gagne en présence et en substance, au fil des scènes, dans le rôle-titre. Son duo avec Sara, à la fin du I, est l’un des sommets de la représentation.
Très belle révélation que le jeune baryton-basse russe Nikolai Zemlianskikh, Nottingham sonore et toujours élégant, qui a pour seul défaut une articulation parfois rudimentaire et, partant, une tendance à privilégier le son, au détriment du mot.
Mais la triomphatrice du spectacle est, sans nul doute, Angela Brower. La mezzo-soprano américaine incarne une Sara bouleversante de vérité, l’actrice, impeccable, se doublant d’une chanteuse hors pair, par son timbre, la richesse de ses couleurs et la netteté de sa projection.
Une fois encore, la réussite de la soirée tient, pour beaucoup, à la direction musicale d’Enrique Mazzola, expert patenté en « reines Tudor », puisque c’est, aussi, à lui qu’ont été confiés les récents cycles de l’Opernhaus de Zurich et du Deutsche Oper de Berlin.
Dès l’Ouverture, sa lecture séduit par le refus de toute grandiloquence. Le chef italien démontre, au contraire, une volonté manifeste d’approfondir, de caractériser et de densifier, qui marque tout le spectacle, par la grâce, aussi, d’un Nederlands Kamerorkest de très belle tenue.
NICOLAS BLANMONT