Opéra-Théâtre, 13 avril
Ces Nozze di Figaro, coproduites par Clermont Auvergne Opéra et Opéra Nomade, ont fait escale, pour trois soirs, à Clermont-Ferrand. Le metteur en scène Pierre Thirion-Vallet explique, dans sa note d’intention, avoir voulu insister sur la « lutte des classes » et la « guerre des sexes » : deux thèmes certes pertinents dans l’œuvre, mais qu’on aurait aimé voir déclinés avec davantage de subtilité.
Certes, on ne peut qu’admirer l’ingénieux dispositif de Frank Aracil, avec seulement quelques éléments de décor qui, diversement agencés, parviennent à suggérer différents espaces, et les costumes soignés de Véronique Henriot, au service d’un spectacle enlevé qui, manifestement, plaît au public. Pour autant, est-il nécessaire de souligner le côté pré-révolutionnaire des revendications de Figaro, en le montrant, pendant « Se vuol ballare », passer à la guillotine une figurine de son maître ?
De même, n’est-ce pas méconnaître la noblesse que la musique de Mozart confère à la Comtesse, que de la montrer sur le point de passer à l’acte avec Cherubino ? Cette femme, jeune encore, peut être touchée du trouble qu’elle suscite chez un adolescent ; elle peut, sans doute, s’en amuser un peu, mais en aucun cas comme une allumeuse ! Et que dire, au début de l’acte IV, du Comte en train de violer Barbarina, avant de l’abandonner à terre pour chanter « L’ho perduta » ? Certes, on comprend dès lors ce qu’elle peut bien déplorer dans son air, mais n’est-ce pas faire fi de toute l’ambiguïté mozartienne ?
La réalisation musicale nous laisse également partagé. L’Orchestre Les Métamorphoses fait pourtant preuve d’une énergie et d’une virtuosité appréciables, comme de jolies sonorités – davantage que le Chœur Opéra Nomade, réduit à un par voix, et qui, quoique étoffé par Antonio et Barbarina, sonne un peu étriqué –, et la direction d’Amaury du Closel possède élégance et finesse. Mais les enchaînements (entre un récitatif sec et l’air qui suit, ou, plus encore, à l’intérieur d’un même récitatif accompagné) manquent de fluidité. Un détail, sans doute, mais qui nous empêche d’être emporté par le tourbillon de la « folle journée ».
La distribution est jeune, attachante, mais aussi fort inégale. Le meilleur est à chercher dans le couple de valets, d’une grande évidence théâtrale et vocale. Le Figaro de Florian Bisbrouck s’impose par son baryton sonore et mordant, comme par son aisance scénique. La Susanna de Jeanne Mendoche n’est pas en reste, aussi piquante que charmeuse, grâce à un instrument au médium rond, dont l’aigu pourrait encore gagner en légèreté.
Les maîtres sont moins convaincants. Alban Legos est un Comte bien terne, dont la voix mal soutenue et insuffisamment projetée, en particulier dans le grave, tend à disparaître dans les ensembles. De plus, il semble traverser l’histoire avec un détachement goguenard, qui ne le rend crédible ni en prédateur sexuel, ni en grand seigneur jaloux de ses prérogatives. À l’inverse, Erminie Blondel a des moyens, mais pas toujours très maîtrisés, en particulier quand son vibrato dépare « Porgi, amor ». Elle en fait aussi trop théâtralement, affichant des mines tour à tour dolentes, aguicheuses ou mélodramatiques, qui sonnent faux.
Le reste de l’équipe est plus adéquat, à commencer par Anne-Lise Polchlopek qui, après avoir été une remarquable Marcellina pour Opera Fuoco, à Chassignolles, en août 2020 (voir O. M. n° 165 p. 39 d’octobre), impose un Cherubino aussi virevoltant que dense vocalement. La mezzo-soprano retrouve Marco Angioloni, qui faisait déjà profiter Basilio et Don Curzio de son ténor percutant et de sa vis comica. Un Bartolo assez débonnaire, une Barbarina guère poétique et une Marcellina efficace entourent l’Antonio sonore de Pierre Thirion-Vallet.
THIERRY GUYENNE