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Fedora arrive enfin à Francfort

06/04/2022

Opernhaus, 3 avril

Il était prévu que cette production de Fedora, créée à Stockholm, en décembre 2016, soit présentée à l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt), en janvier 2021. Mais, en pleine période de fermeture totale des salles, le metteur en scène Christof Loy avait dû se rabattre sur une programmation de remplacement : un spectacle intimiste diffusé en streaming, sur des mélodies avec piano de Tchaïkovski.

De quoi occuper les principaux chanteurs prévus pour Fedora, mais aussi réutiliser le décor, en l’occurrence un luxueux huis clos impersonnel, dessiné par Herbert Murauer, moulures dorées et tentures murales, compatible avec n’importe quelle action se passant dans un milieu fortuné et mondain.

Un an plus tard, c’est bien, cette fois, la Fedora d’origine qui est reprogrammée, fidèlement remontée par une assistante, Anna Tomson, avec les mêmes qualités et les mêmes fautes de goût. La construction des rôles est globalement juste, mais les impairs sautent aux yeux : comment la si distinguée princesse Fedora peut-elle frayer avec une cousine aussi joyeusement vulgaire que la comtesse Olga, ici totalement caricaturée ?

Comment peut-on faire un usage aussi stratégique de vidéos du visage de Fedora en gros plan, mais en les projetant sur des surfaces irrégulières, rideau de scène ondulant ou tentures à motifs, qui les brouillent ? Et puis, si le premier apparat vestimentaire du rôle-titre colle bien avec le sujet, élégante robe du soir, toque et pelisse de fourrure blanche, le suivant, petit négligé de satin rose qui bâille, sur escarpins noirs à talons aiguilles, n’aide vraiment pas à se tenir en scène correctement.

Pourquoi remonter Fedora aujourd’hui ? Davantage que pour un livret compliqué et une musique qui enchaîne, avec habileté, des mélodies entêtantes, c’est, avant tout, pour y distribuer une prestigieuse diva, voire un grand ténor. Remplaçant Olesya Golovneva, la soprano allemande Nadja Stefanoff fait valoir un visage intéressant, qui supporte bien les gros plans filmés, et une voix simplement saine, à quelques aigus approximatifs près. Mais elle ne trouve ni le glamour, ni la fibre expressive qui ont fait les grandes Fedora du passé (Maria Caniglia, Maria Callas, Renata Tebaldi, Magda Olivero…), d’immenses titulaires que l’on imagine plus difficilement, cela dit, en nuisette rose sur le plateau !

Pour incarner Loris qui, à la création, en 1898, révéla le jeune Enrico Caruso, le ténor américano-chilien Jonathan Tetelman dispose, en revanche, de multiples atouts, notamment un physique de beau ténébreux et une voix puissante, suffisamment solide pour éviter tout portamento ou sanglot. Là aussi, une prise de rôle, mais qui laisse entrevoir une carrière rapidement ascendante – un contrat d’exclusivité chez Deutsche Grammophon, avec un premier récital discographique annoncé pour cet été, est d’ailleurs déjà signé.

Autour de ce couple un peu déséquilibré, une belle série de seconds plans, issus de la troupe de Francfort, dont le parfait De Siriex du baryton-basse américain Nicholas Brownlee et la remuante Olga de la soprano italienne Bianca Tognocchi, qui s’accommode comme elle peut d’indications de mise en scène ingrates.

En fosse, pour le jeune maestro Lorenzo Passerini, c’est, également, un premier contact avec un ouvrage dont le véritable relief ne paraît qu’entrevu. Si toute vulgarité est évitée, cette réserve nous prive des élans qui peuvent rendre la musique de Giordano irrésistible.

LAURENT BARTHEL


© BARBARA AUMÜLLER

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