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Enthousiasmant Freischütz à Amsterdam

09/06/2022

De Nationale Opera, 3 juin

Ceux qui ont été exaspérés par les interventions de René Jacobs, dans sa version revue et augmentée du « Singspiel » de Friedrich Kind et Carl Maria von Weber, chez Harmonia Mundi (voir O. M. n° 183 p. 81 de juin 2022), auraient sans doute crié au sacrilège, en découvrant le traitement radical administré à Der Freischütz par Kirill Serebrennikov. Après avoir passé toute la soirée avec un sourire jusqu’aux oreilles, comment ne pas exprimer au metteur en scène désormais exilé, qui signait son premier spectacle en chair et en os depuis son départ de Russie, notre plus enthousiaste gratitude ?

Alors certes, il s’affranchit, plus ou moins complètement, de l’intrigue originelle, mais avec d’autant plus de brio qu’il prend la peine de la raconter, dans une vidéo imprégnée d’un humour irrésistiblement référentiel, durant l’Ouverture, qui n’est autre que le condensé, ou bien plutôt le teaser – pour employer un terme plus en phase avec notre époque, dépendante aux plateformes de streaming – de la partition.

Voici donc la pièce métamorphosée en méta-opéra. Pas en cherchant à donner l’illusion d’un vrai-faux réalisme, façon Prologue d’Ariadne auf Naxos, mais en abattant d’emblée le quatrième mur, et en abolissant la frontière avec le théâtre musical, grâce à l’emploi de l’anglais dans les passages parlés, et plus encore à l’ajout d’un personnage haut en couleur, en l’occurrence adepte d’une monochromie ostentatoire : The Red One, incarné par l’acteur américain, longtemps fixé à Moscou, Odin Lund Biron – par ailleurs, Tchaïkovski dans La Femme de Tchaïkovski, dernier film de Serebrennikov, en compétition, cette année, au Festival de Cannes.

Maître d’une cérémonie tout sauf occulte, stand-upper, danseur, chanteur, même, quand il donne, assez joliment, de la voix, souvent de tête, dans les trois titres empruntés à The Black Rider de Tom Waits (« fable musicale », créée avec Robert Wilson et William S. Burroughs, d’après les sources de l’ouvrage de Weber), n’est-il pas, tirant les ficelles sans trop s’en donner l’air, une sorte de double déjanté du metteur en scène – bien que ce dernier refuse de le nommer comme tel ?

Plus ou moins terrorisés par le chef d’orchestre, alias Samiel, tous les solistes – ainsi que certains membres du chœur, d’une implication individuelle et collective époustouflante –prennent le micro pour passer à la confession. Sur leur vie sexuelle, leurs angoisses et autres superstitions. Dans l’impitoyable microcosme des coulisses, la diva, entrée en musique comme en religion, mais en proie au doute sur sa foi, jalouse la débutante, immanquablement vouée à lui faire de l’ombre ; le baryton a obtenu sa sortie des rangs du chœur, au prix d’un pacte avec le diable, dont le royaume s’étend de la fosse au plateau ; et le ténor a peur de rater ses aigus, comme Max sa cible.

Si les travers de chacun sont tournés en dérision, jamais la caricature, le ridicule n’empêchent une vérité, mieux, une authentique humanité de s’exprimer. Parce que le regard d’outsider que pose le cinéaste sur un milieu que son assignation à résidence l’a forcé à observer, au mieux, en visioconférence, est empreint d’une grande tendresse, en plus d’une salutaire fraîcheur. Et qu’en déclarant son amour à cet art, plutôt que la guerre à ses supposées conventions, il nous rappelle que l’opéra est une fête. Au terme – du moins espérons-le – d’une interminable crise sanitaire, alors qu’un conflit fratricide fait rage à nos frontières, cela fait un bien fou.

Surtout quand la musique a toute sa place, et brille ainsi de mille feux. Le retrait, pour raisons de santé, moins d’un mois avant la première, de Riccardo Minasi a poussé le DNO à faire un pari audacieux. Patrick Hahn, retenez bien ce nom ! À bientôt 27 ans, le chef autrichien fait preuve d’une superbe maîtrise, guère intimidé face à l’une des plus belles formations symphoniques du monde, l’orchestre du Concertgebouw, dont les sonorités, les phrasés, pour ainsi dire le chant, placent la barre très haut pour la distribution.

Cet ogre gentil de James Platt mérite, à présent, des emplois plus étoffés que Kuno, a fortiori quand la carrure et le charisme de Günther Groissböck ne suffisent plus à compenser, ni en Kaspar, ni en Ermite, la raideur et la sécheresse de l’instrument, et particulièrement d’un registre supérieur atteint au forceps. Rien ne perturbe, en revanche, le baryton gorgé de sève de Michael Wilmering, pas même d’achever les « Couplets » de Kilian en faisant le poirier.

Plus tout à fait mozartien, pas encore wagnérien, Benjamin Bruns a l’exact format de Max. Il n’est cependant pas certain que son intonation, parfois vacillante, traduise volontairement l’anxiété du ténor en mal de reconnaissance qu’il interprète.

Soprano blond à l’ancienne, Johanni van Oostrum tutoie, elle aussi, un certain idéal en Agathe, même si la ligne et l’émission manquent de fluidité. L’Ännchen de Ying Fang en a pour deux, et de la pulpe, et de l’abattage. Nulle rivalité, bien sûr, entre les deux artistes. Mais comment ne pas penser que la réalité, soudain, rejoint la fiction ?

MEHDI MAHDAVI


© DUTCH NATIONAL OPERA/BART GRIETENS

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