Crosby Theatre, 11 août 2023
Jusqu’à la magnifique entrée de Tristan und Isolde au répertoire, en 2022, Der fliegende Holländer était le seul ouvrage de Wagner joué au Santa Fe Opera, en 1971, 1973 et 1988. La nouvelle production de l’été 2023, situant l’action dans un univers de porte-conteneurs et d’engins mécanisés, déçoit d’autant plus que la direction d’acteurs demeure paresseuse.
Le Hollandais est un homme d’affaires en complet-veston, ne s’éloignant jamais de son bureau, où une pile de documents à signer l’attend. Près d’un demi-siècle après le « Ring du centenaire », à Bayreuth, David Alden éprouve ainsi le besoin de nous rappeler que tout tourne autour du capitalisme, entre ventilateurs industriels et atmosphères lugubres.
La Mary vocalement tranchante de Gretchen Krupp, qui entretient des relations sexuelles avec Daland, fume. N’était-il pas possible d’éviter pareils clichés, censés nous montrer que ce n’est pas une « bonne personne » ? Les marins norvégiens forment, évidemment, une troupe de voyous alcoolisés et, quand Erik annonce le retour du navire de Daland, toutes les employées de l’usine se pomponnent et retouchent leur maquillage (!). Les marins hollandais, en revanche, se déplacent comme des zombies, victimes de l’esclavage capitalistique, tandis que Senta ne se jette plus dans les flots, mais s’emprisonne elle-même dans l’enchevêtrement de cordages qui, depuis le début, constitue un élément essentiel du décor.
Autre déception, la lecture orchestrale de Thomas Guggeis – compétente, sans plus. Le jeune chef allemand, qui prend, cette saison, la succession de Sebastian Weigle à la direction musicale de l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt), échoue à construire une quelconque architecture. Préparés par Susanne Sheston, les chœurs maison sont, en revanche, un vrai plaisir pour l’oreille, même si ce que la mise en scène leur réclame n’a, le plus souvent, aucun sens.
Kurwenal sonore, en 2022, Nicholas Brownlee déploie encore plus de décibels et de véhémence en Hollandais. Le résultat est impressionnant, mais on aimerait davantage de nuances, la technique du baryton-basse américain semblant ignorer le legato qui faisait le prix, par exemple, d’un José Van Dam, d’un James Morris ou d’un Robert Hale dans le rôle.
Ses compatriotes Morris Robinson et Chad Shelton se distinguent également. Le premier a les moyens pour camper un Daland de grande allure. Le second – appelé à la rescousse, pendant les répétitions, pour pallier le forfait de Richard Trey Smagur – apporte une couleur italienne bienvenue à Erik, sans rencontrer le moindre problème dans cette tessiture aiguë et post-belcantiste.
La Senta d’Elza van den Heever, enfin, domine les débats. Inévitablement doublée par une fillette, vêtue comme elle, dont la présence perturbe l’écoute pendant l’Ouverture, la soprano franco-sud-africaine chante avec éclat et ardeur, osant même attaquer la « Ballade » un ton plus haut que d’ordinaire (une variante prévue par Wagner, lui-même). Sa mise en valeur des mots est, par ailleurs, remarquable.
DAVID SHENGOLD