Opéras Don José sur le banc des accusés à Bordeaux
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Don José sur le banc des accusés à Bordeaux

31/01/2024
Xavier de Lignerolles (Ludovic, José) et François Rougier (Franck, Don José). © Pascal Gely

Auditorium, 25 janvier

On se demande bien pourquoi Carmen, cour d’assises, dont la création a eu lieu, au Théâtre Auditorium de Poitiers, le 4 mai 2023, revient, à l’Opéra National de Bordeaux, sous le titre The Carmen Case. Le livret est toujours en français, et le propos n’a pas changé : il s’agit de s’interroger sur Don José, ses pulsions, sa culpabilité, son crime.

Alexandra Lacroix a eu l’idée de cette suite à l’opéra de Bizet. Elle en signe le texte et la mise en scène, et « demande de réfléchir à la portée profonde du féminicide qui conclut Carmen ». Pour ce faire, elle réunit cinq condamnés, devant un téléviseur diffusant une émission sur les violences faites aux femmes, avant que commence la première scène proprement dite : l’audition de Micaëla, témoin convoqué lors du procès de Don José.

Mais la violence du comportement de la jeune fille aboutit à une suspension de séance. Suit une longue séquence d’introspection de Don José dans sa cellule, qui prend l’allure d’un cauchemar, avant que les audiences reprennent, avec Escamillo à la barre.

Le récit des témoins, de même que les remords du brigadier, sont, évidemment, propices aux retours en arrière. Diana Soh (née en 1984), présentée comme la compositrice de The Carmen Case, ne s’en prive pas : les trois quarts de la partition consistent en citations quasiment textuelles de Bizet, arrangées pour les treize brillants musiciens de l’ensemble Ars Nova, que dirige Lucie Leguay.

On entend, presque intégralement, mais dans un ordre bousculé, le duo entre Micaëla et Don José, la « Chanson bohème » et l’air « de la fleur », le duel entre Escamillo et le brigadier devenu contrebandier, Carmen et Don José au dernier acte, etc.

Parfois légèrement déformées, ces longues citations sont reliées entre elles par des épisodes que Diana Soh a composés dans un style sans grand relief – comme ces interminables interventions, à la fois parlées et chantées, de trois psychiatres, puis de trois experts légistes, dont on devine qu’ils doivent montrer l’absurdité du système judiciaire.

Pour conclure les débats, le réquisitoire et la plaidoirie ont lieu simultanément, dans le même style parlé-chanté, avant qu’un micro-trottoir permette – c’est la loi du genre – de recueillir l’avis de l’homme de la rue sur le destin de Carmen : « Elle a rencontré le mauvais homme au mauvais moment », « Elle n’a pas eu de chance », etc.

Comme le précise le programme de salle, « Diana Soh adresse [sic] des problématiques socio-culturelles dans sa musique par le biais d’une interaction très poussée avec ses interprètes ». Certes. L’avantage, c’est qu’on entend, dans de longs extraits de Carmen, d’excellents chanteurs, même si le côté parodique du propos fait qu’on ne sait pas trop, ici, si l’excès de gestes lascifs, de la part de Carmen, ou de sanglots, de la part de Don José, procède d’une volonté délibérée ou d’une liberté coupable laissée aux solistes.

Il n’empêche : Anne-Lise Polchlopek est une Carmen on ne peut plus crédible, à la voix sonore, au tempérament de feu ; François Rougier, qu’on n’attendait pas dans le rôle, campe un Don José malheureux, implorant, avec un aigu pianissimo très réussi sur « Et j’étais une chose à toi » ; et René Ramos Premier a la carrure et l’insolence d’Escamillo.

Micaëla, incarnée par Angèle Chemin, est peut-être la seule idée saisissante de The Carmen Case : traumatisée après l’assassinat dont s’est rendu coupable Don José, la voici agitée de tics nerveux, retroussant sa robe de mariée, perdant l’usage de ses mots, criant des injures désespérées. Une belle figure pathétique.

La scénographie se réduit à quelques éléments de bois, qui vont et viennent pour figurer gradins et pupitres. L’Auditorium de Bordeaux n’étant pourvu d’aucun réflecteur de son, les pièges acoustiques se multiplient : le double de Don José (le ténor Xavier de Lignerolles) est enfermé dans une cage de plexiglas, ce qui l’empêche de se faire clairement entendre. C’est le cas, aussi, du Président du tribunal (le contre-ténor William Shelton), dont on ne voit longtemps que la figure géante sur un écran ; quand il se dresse de la fosse, on comprend, tout à coup, pourquoi sa voix sonnait aussi lointaine.

À la fin, Don José n’est pas clairement condamné. On apprend que « la vérité se cache derrière les détails », puis tout le monde entonne la célèbre « Habanera »… Bizet est un grand compositeur !

CHRISTIAN WASSELIN

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