Opéra, 11 juin
L’Opéra de Marseille reprend, avec un autre chef et une distribution en grande partie renouvelée, cette production de Don Carlo (version italienne en quatre actes, Milan, 1884), déjà vue in loco, en juin 2017 (voir O. M. n° 131 p. 58 de septembre). Nous ne reviendrons pas sur ses mérites : ingéniosité du dispositif mobile d’Emmanuelle Favre, beauté des projections vidéo de Virgile Koering, parfaite direction d’acteurs de Charles Roubaud, appropriée au « grand opéra » devenu « dramma lirico ».
Prodigieux chef verdien, Paolo Arrivabeni fait sonner magnifiquement l’Orchestre de l’Opéra de Marseille dans un tempo juste, avec dynamisme et lyrisme, sans alterner, comme trop souvent, alanguissements complaisants et fracas des cuivres. L’action progresse, le plateau n’est jamais couvert, l’ensemble s’impose, tour à tour grandiose et désespéré.
Avec cette direction musicale et l’excellence des Chœurs de l’Opéra de Marseille, préparés par Emmanuel Trenque, le premier Posa de Jérôme Boutillier mérite l’ovation qu’il recueille. Le baryton français, après Hamlet, créé par le même Jean-Baptiste Faure, trouve le rôle adéquat à sa vocalité. L’élégance du legato, la ferveur, témoignent d’une complète maîtrise du souffle et des registres. Sa scène de la prison prend place parmi les interprétations mémorables. Le personnage, par ailleurs, a l’autorité d’un grand d’Espagne.
Le costume blanc que porte Nicolas Courjal le prive de l’allure d’un roi aussi sombre que Filippo II. Vêtu d’une sorte de sarouel, chaussé de bottes souples, dans le cabinet de travail où il est censé avoir passé la nuit, noir de chevelure, alors qu’il évoque le regard que porta Elisabetta sur ses cheveux blancs, il inverse ce que l’on croit comprendre des rapports instaurés par Schiller et Verdi entre le monarque régnant sur la moitié du monde connu et son fils au psychisme fragile : un tyran vieillissant et un tout jeune homme très malheureux. Mais la beauté du chant de la basse française ne se dément jamais.
Le ténor argentin Marcelo Puente, voix généreuse et solidité à l’épreuve de l’écrasant rôle-titre, présente un aspect royal dans le défi public qu’il lance à son père. Très digne, la soprano italienne Chiara Isotton a la longue tessiture qu’exige Elisabetta. Sa romance quasi belcantiste (« Non pianger, mia compagna »), la grande scène dramatique du monastère (« Tu che le vanità »), ne la montrent jamais en difficulté.
Très acclamée, l’Eboli de Varduhi Abrahamyan délivre une « Chanson du voile » subtile et ornée, puis assume le désespoir du redoutable « O don fatale ». Chez la mezzo franco-arménienne, le grave et le médium sont au rendez-vous, et l’aigu (les si bémol à peine abrégés) atteint son but. Tout de blanc vêtu, l’Inquisiteur de la basse coréenne Simon Lim impose son écrasante présence.
Enfin, les excellents rôles secondaires, jusqu’au groupe des Députés flamands, complètent une distribution qui fait honneur à l’Opéra de Marseille, pour une fin de saison 2021-2022 triomphale.
PATRICE HENRIOT