Opéras Début de Ring à Londres
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Début de Ring à Londres

02/10/2023
Sean Panikkar (Loge) et Christopher Purves (Alberich). © Monika Rittershaus

Royal Opera House, Covent Garden, le 20 septembre

Une silhouette décharnée, comme surgie du fond des âges, s’avance nue, sur un plateau qui ne l’est pas moins, grand ouvert sur le lointain et les dégagements latéraux, tel un trou noir, à l’exception d’une grande forme énigmatique, recouverte de bâches. Elle, c’est Erda, incarnée physiquement par la mannequin et actrice britannique Rose Knox-Peebles (82 ans).

La déesse terre, comme une origine du monde qui aurait vu sa fin, aussi, et, portant les mains à son visage, refuse désormais de le regarder, alors qu’affluent, peut-être, les souvenirs de celle qui  sait «  wie alles war, wie alles wird, wie alles sein wird » (« tout ce qui fut, tout ce qui est, et tout ce qui sera »). À moins qu’elle ne dissimule ses larmes. Car toute vie a déserté le grand frêne du monde, dont des machinistes dévoilent à vue le trône calciné, à demi effondré. À moins que…

Barrie Kosky, dès le début de ce second Ring de sa carrière – le premier, monté à Hanovre, entre 2009 et 2011, l’a laissé « profondément insatisfait » –, embrasse, symboliquement, la totalité du cycle wagnérien. Sans rien révéler, pourtant, au terme de Das Rheingold, de ce qu’en sera la suite, puisqu’une fois encore, au milieu d’une pluie de paillettes accompagnant les dieux au Walhalla, il fait table rase, en vidant la scène de l’arbre qui devrait trôner au centre de la demeure de Hunding, au premier acte de Die Walküre – pour le savoir, il faudra attendre la saison prochaine, car le Covent Garden a décidé d’étaler sa nouvelle Tétralogie sur quatre ans.

Autant que ce seul Prologue permette d’en juger, donc, la vision du metteur en scène australien s’annonce pessimiste, horrifique parfois, mais teintée de cet humour noir qui n’est qu’à lui. Et, surtout, d’une invention théâtrale constamment renouvelée, sans le moindre recours aux gadgets saturant la plupart des productions lyriques d’aujourd’hui, ni désir de faire absolument du neuf – combien, en succombant à la tentation, ont perdu le fil, essentiel, ici plus qu’ailleurs, de la narration ?

Les Filles du Rhin jaillissent littéralement des cavités du tronc pour torturer Alberich – formidable Christopher Purves, dont le mordant compense les décolorations du timbre –, bientôt dans le plus simple appareil. Avant que ne scintille cet or liquide qu’est la sève, depuis les tréfonds de l’arbre mort. D’où sa transformation, au Nibelheim, en une machine infernale, sorte de tire-lait géant, ponctionnant les mamelles asséchées de la déesse terre, mère nourricière.

Entre-temps, les dieux ont fait leur apparition, aristocrates campagnards déployant, à l’ombre du frêne, orné d’une étoffe précieuse, un nécessaire à picnic digne des pelouses de Glyndebourne, dans leurs classiques tenues d’équitation. Lord Wotan – Christopher Maltman, dont la profondeur nouvelle de baryton presque basse s’accompagne d’une meilleure maîtrise d’un vibrato dangereusement élargi, il y a peu encore –, caché derrière les plans de sa nouvelle demeure, n’accorde pas la moindre attention à Lady Fricka – Marina Prudenskaya, toujours supérieurement affûtée, et même idéalement cinglante –, tournant rageusement les pages d’un magazine féminin, sans y jeter le moindre regard.

Insung Sim et Soloman Howard, Fasolt et Fafner très truands, ajoutent à l’esprit ludique du spectacle, que parachève Sean Panikkar, génialement ambigu dans les circonlocutions de ce feu follet, ici plus virevoltant que jamais, de Loge. Kiandra Howarth déverse son soprano abondant sur les appels au secours de Freia, quasi noyée dans une baignoire remplie de l’or liquide, pour une scène de mesure rarement aussi prenante, tandis que, dédoublant brièvement par sa voix la figure omniprésente d’Erda, Wiebke Lehmkuhl enveloppe sa mise en garde d’un alto au velours infini.

Face à l’orchestre du Royal Opera House, dont il quittera la direction musicale à la fin de la saison, sans l’abandonner tout à fait, puisqu’il mènera ce Ring à son terme, Antonio Pappano entame, assurément, son grand œuvre lyrique. Entre scintillements et luxuriance, le son se déploie avec une fascinante limpidité, sans omettre les zones d’ombre de la partition. En accord parfait avec la scène, le chef britannique met du théâtre partout, en portant très haut, dans ce premier volet, l’art de la conversation wagnérien.

MEHDI MAHDAVI

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