Opera Vlaanderen, 17 mai
À Lyon, il y a quelques semaines, Shirine, le nouvel opéra de Thierry Escaich, réécrivait, d’une certaine manière, le mythe de Tristan et Iseut (voir O. M. n° 183 p. XX de juin 2022). À l’Opera Vlaanderen, Wim Henderickx choisit, lui aussi, l’Orient et le Moyen Âge, pour réinventer celui de Roméo et Juliette.
Avec The Convert, le compositeur belge (né en 1962) met en scène Vigdis, une jeune chrétienne du XIe siècle qui, par amour pour David, épouse la religion juive et part avec lui, de Rouen jusqu’à Narbonne, avant de se retrouver à Marseille, à Nájera, à Alexandrie, etc. Entre-temps, elle a changé de nom, est devenue Hamoutal, et s’est enfuie avec son plus jeune enfant, après la mort de David, puis l’enlèvement de leurs deux autres enfants. Finalement vendue dans un marché aux esclaves, elle mourra sous la protection du rabbin Obadiah, qui chantera pour elle le kaddish.
Sur cette trame pleine de péripéties, due à un livret en anglais de Krystian Lada, inspiré du roman De Bekeerlinge (Le Cœur converti, 2016, trad. 2018) de Stefan Hertmans, Wim Henderickx a composé une partition relativement sage, au sens où elle suit les aventures des héros, fait alterner les moments intimes et les scènes de foule, et ne cherche jamais à martyriser les voix. Plutôt qu’à un récitatif monotone, on a affaire à un arioso continu assez consonant, plus convaincant dans les épisodes lyriques que dans les épisodes violents.
Au premier acte, la très belle berceuse « Once Upon a Time », chantée par la radieuse soprano franco-algérienne Amel Brahim-Djelloul, suit ainsi un duo un peu laborieux entre Gudbrandr et Lutgardis, les parents de Vigdis, cependant que les scènes chorales sont architecturées avec soin, mais sans jamais porter au paroxysme les hystéries religieuses ou la folie des croisades que dénonce l’ouvrage. On se croirait parfois chez Britten, parfois chez Bernstein.
D’une manière générale, Wim Henderickx se garde de couvrir les chanteurs. Il fait le choix d’une orchestration retenue, privilégie les timbres de la clarinette et du cor anglais, et utilise habilement (et plus généreusement que Thierry Escaich !) les instruments orientaux.
Dans ces conditions, on se demande pourquoi tout le monde, chanteurs comme musiciens, est amplifié, d’autant que l’électronique – confiée à Jorrit Tamminga – est utilisée, elle aussi, avec économie. Si bien que, dans les rares moments où sont réunis solistes, chœurs et orchestre au grand complet, tout devient confus et saturé.
Le spectacle est dû au plasticien belge Hans Op de Beeck, mais ne fait aucune concession aux lubies de notre temps. Ici, le théâtre reste du théâtre, même si l’ironie affleure, çà et là. Ainsi, les très belles toiles peintes qui figurent une église, un intérieur bourgeois, un paysage, la nuit, le désert, etc., montent et descendent, au fil de l’action, grâce à deux machinistes qu’on voit, à l’arrière-plan, faire tourner des treuils.
Des loges sont également installées sur scène, avec miroirs et ampoules, où se préparent les chanteurs. Le double de Vigdis, figuré par un mannequin grandeur nature, est, lui aussi, manipulé par des accessoiristes, au moment où rêve la jeune fille. L’ensemble est bien mené, même s’il reste l’énigme des choristes vêtus de cirés noirs, comme des vêtements de pêcheurs, qui, à intervalles réguliers, ouvrent des parapluies. Hans Op de Beeck nous met-il en garde contre les promesses du ciel, forcément trompeuses ?
On a cité Amel Brahim-Djelloul, mais le rôle principal est tenu par la soprano belge Lore Binon, qui traverse le spectacle dans une espèce de paix intérieure, d’une voix douce et maîtrisée. À ses côtés, le jeune baryton allemand Vincenzo Neri est un David lyrique, cependant que la chanteuse franco-marocaine Françoise Atlan a tendance à beaucoup poitriner en Lutgardis et que Guido Jentjens doit incarner une foule de petits personnages assez ingrats, où la basse allemande ne peut guère exprimer son humanité.
Enfin, le ténor espagnol Daniel Arnaldos exprime, à la limite de la caricature, tout ce qu’il peut y avoir de fausseté dans la foi et, surtout, dans la religion, au contraire du baryton sud-africain Luvuyo Mbundu qui, de sa voix consolante, n’est que vigilance et bonté.
The Convert est un opéra participatif : des chanteurs amateurs ont répété pendant plusieurs mois, avant de se mêler au Chœur et à la Maîtrise de l’Opera Vlaanderen, et le résultat est à la hauteur des espérances. L’engagement de tous, sur le plateau, est un gage de cohésion, et la direction musicale du chef belge Koen Kessels, elle aussi, se met au service d’un ouvrage abouti, sérieux, développé, dont on aurait peut-être attendu davantage de fulgurances et d’audacieux raccourcis.
CHRISTIAN WASSELIN