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Cosi fan tutte jusqu’à l’ivresse à Paris

01/07/2024
Gordon Bintner (Guglielmo) et Angela Brower (Dorabella). © Opéra National de Paris/Benoîte Fanton

Palais Garnier, 12 juin

Sept ans après avoir été étrennée sur la scène du Palais Garnier, revoici la mise en scène de Cosi fan tutte, signée Anne Teresa De Keersmaeker, pourvue d’une nouvelle distribution. À demi pourvue, en réalité. Car ce spectacle étant, aussi, une chorégraphie, chacun des six personnages est représenté par un chanteur et un danseur ; or, les six danseurs de 2017 reprenant du service, seul le plateau vocal a été modifié.

L’esprit de troupe, que soulignait Michel Parouty, à la création (voir O. M. n° 126 p. 60 de mars 2017), est toujours là, et la cohésion de l’ensemble, fruit d’un long travail sur les décalages voulus entre chanteurs et danseurs, toujours aussi stupéfiante. Et il y a une telle fantaisie, dans la conception d’Anne Teresa De Keersmaeker, que rien n’est jamais redondant, l’apparente maladresse physique d’un chanteur devenant, tout à coup, une vertu inattendue, grâce au contrepoint de son autre dansé.

C’est le cas, en particulier, d’Angela Brower, qui n’est pas la plus à l’aise avec son corps, mais campe une Dorabella solide, ancrée, sonore, dont l’apparente franchise donne, grâce à l’extrême mobilité de son double (la danseuse néerlandaise Samantha van Wissen), une grande sensualité au personnage.

Moins ambiguë, Fiordiligi a la voix de Vannina Santoni, qui se révèle au fil de la soirée. Si « Come scoglio », notes détimbrées et aigus arrachés, inquiète, « Per pietà », préparé par un récitatif particulièrement habité, affirme un chant bien maîtrisé. On aurait aimé, toutefois, ne fût-ce que pour le contraste entre les deux sœurs, un soprano plus lumineux.

Le duo des officiers est différemment équilibré. En Guglielmo, Gordon Bintner déploie un instrument en pleine santé et sa présence de comédien éclate. Au point que son bonheur d’être sur scène relèguerait presque dans l’ombre ce fin musicien qu’est Josh Lovell, tout entier lui-même, en particulier dans les airs de Ferrando. « Un’aura amorosa » se révèle une merveille d’épanouissement, qui révèle, au moment de la reprise piano du thème principal, l’exquise sensibilité du ténor canadien.

Hera Hyesang Park est une Despina stupéfiante de drôlerie, qui n’a rien d’une soubrette banale, et sait donner de la voix quand il le faut. Même si les épisodes où elle joue un médecin et un notaire sont plus convenus, on la sent faire cause commune avec le Don Alfonso finaud de Paulo Szot, parfait exemple d’aisance et de rouerie.

Au pupitre de l’Orchestre de l’Opéra National de Paris, Pablo Heras-Casado nous ravit plus encore que les chanteurs. Sa direction est colorée, attentive, nerveuse, avec des bois en état de grâce, et, dans les finales, la même ivresse qu’on trouve sur le plateau.

Cette reprise, effectuée avec soin, confirme la réussite d’un spectacle aussi minutieusement conçu que réglé.

CHRISTIAN WASSELIN

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