Théâtre du Châtelet, 4 février
Coproducteur, avec le Festspielhaus de Baden-Baden et les Théâtres de la Ville de Luxembourg, du Cosi fan tutte monté par Dmitri Tcherniakov, au Festival d’Aix-en-Provence, en juillet dernier (voir O. M. n° 195 p. 46 de septembre 2023), le Théâtre du Châtelet en assure la première reprise. Quasiment à l’identique. À quelques exceptions près, tant sur le papier que dans les faits.
Prenant pour prétexte un week-end échangiste, à l’issue forcément fatale, le concept dramaturgique, évidemment, demeure, réflexion censément neuve, radicale et passionnante – alors même que le metteur en scène russe nous aura donné l’impression de tourner en rond dans les conventions de son propre système –, sur le désir et les sentiments de couples vieillissants, et plus généralement, sur les rapports de domination hommes/femmes.
Un détail a, toutefois, été modifié, et qui a son importance, d’autant que la version originale nous avait semblé plus intéressante. Les numéros que Despina inscrivait, dans le finale du II, sur le front de Fiordiligi, Dorabella, Ferrando et Guglielmo, semblaient indiquer qu’ils n’étaient pas les premières « victimes » des serial « échangeurs », dont ils avaient « loué » les services. Il faut, désormais, se contenter du plus banal 1-2-3-4.
Le seul changement, au sein d’un plateau d’âge mûr et voulu comme tel, n’est pas, non plus, sans incidence sur l’équilibre des relations. « Despina comme vous ne l’aviez jamais vue ! », écrivions-nous. C’était vrai, avec Nicole Chevalier, qui imposait une formidable tension, souvent muette, particulièrement entre elle et Don Alfonso.
Malgré la singularité, de tempérament et de jeu – de timbre, aussi –, qui a pu la rendre, souvent, envahissante, Patricia Petibon apparaît effacée, lasse, sans ressort, y compris sur le plan vocal, quelques sons épais, et plutôt tubés, ne pouvant masquer les insuffisances patentes de l’instrument.
Inchangé, le reste de la distribution bénéficie de l’acoustique d’un théâtre fermé, après le semi-plein air de l’Archevêché. Sans qu’Agneta Eichenholz, sensible certes, trouve les graves de Fiordiligi, dont les aigus ne lui sont pas, non plus, une évidence, ni que Rainer Trost s’épuise moins, en Ferrando.
Est-ce la situation, dès lors, qui, dans « Un’aura amorosa », est touchante, ou ses difficultés à en venir à bout, qui provoquent notre malaise ? Le génie de Dmitri Tcherniakov – car il en a toujours – est, justement, d’ouvrir cet abîme entre le spectateur et l’interprète, funambule en équilibre précaire sur une corde raide.
Russell Braun est, toujours, un Guglielmo bien chantant et plutôt transparent, tandis que Georg Nigl, Don Alfonso pas nécessairement plus recommandable que l’été dernier, a, au moins, arrondi les angles d’un italien alors impossible.
Comment ne pas admirer, enfin, chez Claudia Mahnke, formidable Fricka (Der Ring des Nibelungen) de notre époque, une capacité d’allègement et d’enjouement, y compris dans ce contexte, où Dorabella est privée de son second air « È amore un ladroncello », qui la place au-dessus de ses partenaires ?
Mais si l’attention, mise à rude épreuve dans la nuit aixoise, est constamment tenue en éveil, c’est bel et bien grâce à Christophe Rousset et à son ensemble, Les Talens Lyriques, d’une netteté superbement épanouie dans la fosse du Châtelet. Ponctuant, au pianoforte, des récitatifs au rythme distendu par les exigences de la scène, le chef français dirige plus sérieux qu’en d’autres circonstances, avec une concentration, un tranchant même, qui n’excluent pas la tendresse, que Dmitri Tcherniakov tient à distance.
MEHDI MAHDAVI