Opéras Béatrice tient tête à Bénédict à Cologne
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Béatrice tient tête à Bénédict à Cologne

09/05/2022

Staatenhaus, 30 avril

Berlioz s’est souvent rendu en Allemagne mais, curieusement, n’a donné qu’un concert à Cologne, en 1867, où il a fait entendre, notamment, le « Duo-Nocturne » de Béatrice et Bénédict. C’est à l’Opéra de Cologne (Oper Köln), précisément, que François-Xavier Roth a choisi de diriger l’« opéra-comique » du compositeur, non à l’Opernhaus, toujours fermé pour travaux, mais dans l’une des salles du Staatenhaus, lieu provisoire que les musiciens, au fil des saisons, ont fini par apprivoiser.

Le plateau occupe environ les deux tiers de l’espace, et l’orchestre, refoulé au fond, côté cour, se situe légèrement en contrebas ; le chef tourne le dos aux chanteurs et communique avec eux par l’intermédiaire d’un souffleur, installé au premier rang des spectateurs. Dans ces conditions cependant, François-Xavier Roth nous propose le Béatrice et Bénédict qu’on attendait, au moins sur le plan musical.

Toute la partition est là, dans l’ordre prévu par Berlioz (ce qui n’est pas toujours le cas, lorsqu’un théâtre affiche cet ouvrage !), et le Gürzenich-Orchester Köln joue avec ce mélange d’entrain rythmique et de souplesse, caractéristique de la direction de François-Xavier Roth. Et même si l’on est en présence ici d’un orchestre conventionnel, les vents, en particulier, donnent de belles couleurs à l’ensemble, ce qui est un exploit dans une acoustique peu commode.

On redécouvre ainsi la « Sicilienne », dont les harmonies insolites s’inscrivent dans le droit fil des entrées du troisième acte des Troyens. On goûte aussi, pour citer un exemple entre vingt, la manière dont le chef français fait sonner, comme une vraie musique funèbre, le moment où, dans le trio du I, Bénédict évoque, de manière parodique, son destin d’homme marié.

Le Covid, ici comme ailleurs, a fait des siennes et a amené quelques changements dans la distribution. C’est ainsi que Miljenko Turk a dû être remplacé par l’excellent Thomas Dolié, venu chanter Claudio in extremis, Charlotte Wulff, assistante à la mise en scène, mimant le rôle sur le plateau.

Jenny Daviet manque un peu d’abandon en Héro, et elle accentue le côté espiègle du personnage, dont la douceur, en principe, devrait contraster avec les fureurs de Béatrice. Mais son chant est impeccablement mené, ses vocalises du I prennent un sens comique bienvenu, et le « Duo-Nocturne » qu’on évoquait plus haut, avec le contrepoint de la belle Ursule de Lotte Verstaen, est un modèle d’équilibre, à défaut d’être un comble d’émotion.

L’émotion, presque miraculeuse, on la trouve à la fin du trio du II, où le bouquet des trois voix féminines semble tombé du ciel. Il est vrai qu’Isabelle Druet, qui fut la Cassandre et la Didon de François-Xavier Roth, à La Côte-Saint-André, en 2019 et en 2021, excelle à varier les humeurs en Béatrice, de la vraie-fausse colère dans son premier duo avec Bénédict au lyrisme le plus exalté dans son air du II. Un mezzo sans lourdeur et une diction parfaite de naturel lui permettent de basculer, en un instant, de la comédie à la tragédie.

On ajoutera, encore, une forte présence théâtrale qui lui fait tenir tête, avec bonheur, au Bénédict de Paul Appleby, moins à l’aise avec le français et au jeu plus fabriqué. Vocalement, en revanche, le ténor américain a la chaleur du rôle, dont il maîtrise les intentions comiques. Quant à Luke Stoker et Sébastien Dutrieux, ils sont impeccables en Don Pedro et Léonato.

Reste Somarone, et c’est là qu’il faut regretter que les dialogues écrits par Berlioz ne soient pas entièrement respectés. La chorégraphe britannique Jean Renshaw, qui signe la mise en scène, se croit obligée de les modifier, avec l’alibi, bien sûr, de revenir à Shakespeare. Certes, elle ne modifie pas le déroulement de l’intrigue, mais pourquoi enlever ici une réplique, pourquoi en ajouter une autre là ? Surtout, pourquoi faire intervenir dès le début Somarone, comme s’il était le maître de cérémonie de l’ouvrage ? Les foucades du personnage, interprété sans légèreté par Ivan Thirion (mais c’est là, sans doute, la volonté de Jean Renshaw), en deviennent fastidieuses.

En revanche, si l’on s’en tient au spectacle lui-même, cette production a ses atouts. L’idée de situer l’action dans la Sicile des années 1940-1950 conviendrait aussi bien à Cavalleria rusticana, mais il est vrai que Béatrice et Bénédict se situe au sortir d’une guerre. On a droit, ainsi, à une galerie de figures pittoresques (un curé, un boucher, un aveugle avec sa canne, etc.), à des landaus, à des ivrognes sympathiques, le tout éclairé avec un soupçon de mélancolie, un système de trappes permettant de faire intervenir et disparaître des personnages à loisir.

Le chœur (Chor der Oper Köln), plein d’allant et d’une belle homogénéité, fait, lui aussi, honneur à un spectacle qui, avec des interventions moins intempestives dans les dialogues, aurait pu nous combler.

CHRISTIAN WASSELIN


©  HANS-JÖRG MICHEL

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