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Béatrice et Bénédict enfin en chair et en os à Lyon

03/06/2024
Cecilia Molinari (Béatrice) et Robert Lewis (Bénédict). © Bertrand Stofleth

Opéra, 13 mai

Créée, en décembre 2020, à l’Opéra de Lyon, cette production de Béatrice et Bénédict n’avait connu, Covid oblige, que les feux de la diffusion par écran, dans les mois suivants. Étrennée devant un public en chair et en os, deux ans plus tard, au Teatro Carlo Felice de Gênes, elle revient à Lyon, avec une distribution (presque) entièrement renouvelée. Et nous permet d’entendre l’ouvrage à peu près dans sa continuité musicale et théâtrale, sans narrateur intempestif, ni dialogues réécrits, ni prétendu retour à Shakespeare – ce qui est déjà beaucoup, si l’on considère la manière dont cet « opéra-comique » est malmené, la plupart du temps.

Pour autant, Damiano Michieletto ne sait trop comment aborder cet ouvrage délicat entre tous – de même qu’il était resté sans idée, face à La Damnation de Faust, à Rome, en 2017. Il part, ici, du principe que Somarone, le maître de musique burlesque inventé par Berlioz, est, en réalité, le maître de cérémonie de l’opéra tout entier. C’est lui qui règle les micros – factices – qui doivent enregistrer le retour des soldats vainqueurs, qui indique aux chœurs où se placer, etc.

L’idée n’est pas neuve – Jean Renshaw l’avait déjà faite sienne, à Cologne, en avril-mai 2022 (voir O. M. n° 183 p. 45 de juin) –, mais serait plaisante si Ivan Thirion, seul rescapé de la distribution de 2020, cessait de s’agiter en tous sens, dès l’Ouverture, et surtout, si les interventions réelles du personnage n’étaient pas malmenées. Or, curieusement, les épisodes qui pimentent l’« Épithalame grotesque », dirigé et répété par Somarone, sont supprimés – on ne comprend pas, conséquemment, pourquoi cette page est chantée deux fois –, et sa « Chanson à boire » est donnée hors contexte.

Il faut préciser que celle-ci intervient alors que le spectacle a basculé, dans tous les sens du terme. Après un entracte situé à l’issue du « Rondo » de Bénédict, le rideau se lève sur le finale du I (!) et sur une espèce de jungle, où évoluent deux figurants, habillés en costume d’Ève et d’Adam. Est-ce pour nous rappeler que le mariage – de Héro et Claudio, consenti, et de Béatrice et Bénédict, conclu de mauvaise foi – signe la fin de l’amour, donc de l’âge d’or ? Oui, mais pourquoi faire se soulever la scène et s’effondrer le décor dans un fracas épouvantable ?

Dès lors, des papillons mis en cage symbolisent les malheureux époux, enfermés par les règles du mariage, cependant qu’un faux singe, présent depuis le début, continue de se promener sur le plateau, sans qu’on sache pourquoi.

À ce spectacle astucieusement éclairé, muni de quelques jolis détails (un filet à papillons, un lustre en forme de robe, descendu des cintres), mais assez vain, répond une conception musicale cohérente, mais qui laisse perplexe. Car si les dialogues, abrégés, sont maintenus à leur place, ils sont dits dans des micros – réels, cette fois – par les chanteurs qui, tout à coup, viennent se planter à l’avant-scène. Maladroit effet de distanciation ?

La distribution étant composée, en grande partie, d’interprètes étrangers, les accents se télescopent et suscitent deux réactions contradictoires. On peut déplorer que n’ait pas été réunie, comme en 2020, une équipe d’artistes francophones. On peut, aussi, féliciter ces jeunes, pour la plupart issus du Lyon Opéra Studio, de s’être lancés et d’avoir articulé au mieux les dialogues.

L’important, cela dit, est qu’ils chantent bien, et c’est le cas. Giulia Scopelliti, très à l’aise avec le français, est une Héro élégiaque et tendre dans « Je vais le voir », pleine d’intelligence dans ses vocalises. Et la lumière de sa voix se conjugue idéalement avec la couleur sombre de celle de Thandiswa Mpongwana, parfaite Ursule.

Cecilia Molinari a le tempérament de Béatrice, feignant de jouer la victime, pour mieux laisser coi son partenaire, et son timbre un peu clair de mezzo est en phase avec cette mobilité de chaque instant. On regrette, cependant, que son air « Il m’en souvient » soit chanté derrière une grille gigantesque, qui rompt toute communion avec l’orchestre et la salle.

Berlioz a confié à Bénédict un « Rondo » redoutable. Robert Lewis, dont le ténor n’a pas une couleur très remarquable, l’aborde avec prudence, comme s’il était soucieux de ne pas se perdre rythmiquement, avec les fusées des bois qui le poursuivent. Le résultat manque de charme, autant que de brio.

Dans la fosse, Johannes Debus dirige, d’une manière débonnaire, un Orchestre de l’Opéra de Lyon  sans grand éclat, qui soutient et accompagne les voix plus qu’il chante avec elles. Il faut, en revanche, souligner la santé des Chœurs, souples, et puissants quand il le faut.

CHRISTIAN WASSELIN

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