Opéra, 27 mars
Est-ce pour faire écho aux circonstances de sa création sans apparat, à Versailles, en 1683, que ce Phaëton niçois nous est proposé dans une scénographie si dépouillée, si austère ? La question se pose assurément, face à l’aridité esthétique du spectacle auquel nous convie le metteur en scène Éric Oberdorff.
Dénué de charme et sans beaucoup de relief, son travail semble se borner à décrire une course à l’abîme sur un plateau voulu comme une orbite héliocentrique. Les talentueux artistes circassiens, membres de La Compagnie Humaine, ont beau se démener pour remplir visuellement l’espace, ils ne peuvent, à eux seuls, faire le lien entre les différentes scènes et rythmer le récit.
Car, si la plate-forme rotative faisant office d’estrade déclamatoire pour les protagonistes permet un certain nombre de postures par ses inclinaisons, elle n’offre rien de plus qu’un immense espace, difficile à s’approprier et complexe à occuper efficacement. Ni les éclairages froids et fondamentaux de Jean-Pierre Michel, ni les strictes tenues atemporelles de Bruno de Lavenère n’aident à imposer ce chef-d’œuvre rare de Lully et Quinault ; et le talent et la conviction de Jérôme Correas, dont on connaît les affinités avec ce répertoire, ne suffisent pas à sauver cette production empesée, sombre et blafarde.
Il faut pourtant louer l’admirable énergie, que ce dernier insuffle aux pupitres disciplinés de l’Orchestre Philharmonique de Nice. À mille lieues des sonorités fruitées et délicates des formations sur instruments d’époque, les musiciens impressionnent par leur style idoine, leur pâte sonore astringente (la « Chaconne » de l’acte II est d’une belle fluidité). Toujours parfaitement en place, ils défendent, avec un réel brio, la rythmique et les innombrables ciselures de la partition, soutenus dans leur approche par un continuo constitué de solistes issus des rangs de l’ensemble Les Paladins.
Vocalement, l’équilibre est moins manifeste. Annoncé souffrant d’une laryngite, le ténor américain Mark Van Arsdale modère visiblement ses accents, mais laisse entrevoir de beaux élans. En dépit d’une diction parfois hésitante, il défend le rôle-titre avec une ardeur méritoire. La Libye de Chantal Santon Jeffery livre quelques-unes des effusions les plus touchantes. Son chant altier, vibrant et bien projeté, convainc sans réserve (superbe « Ô rigoureux martyre »).
Dans une tessiture plus élevée, la Théone de la soprano belge Deborah Cachet semble soumise à de légères crispations. Sensible, son « Il me fuit, l’inconstant ! » la révèle néanmoins fragile. Rien de tel dans le cas de Gilen Goicoechea. De son timbre profond et puissant de baryton, il incarne, sans difficulté aucune, Épaphus, le fils de Jupiter. Le baryton-basse Arnaud Richard fait montre, lui aussi, des plus belles aptitudes. La prédiction de Protée (« Le sort de Phaëton se découvre à mes yeux ») impressionne par son autorité sans esbroufe.
Le timbre gracile de haute-contre de Jean-François Lombard se montre, en revanche, inégal selon les rôles qu’il endosse, mais son sens aigu de la déclamation fait merveille dans l’hypnotique dialogue entre le Soleil et Phaëton (« Approchez Phaëton, que rien ne vous étonne »). Par opposition, et malgré leur prestance indéniable, la soprano Aurélia Legay et la basse Frédéric Caton apparaissent plus univoques dans leurs incarnations. Mention spéciale pour le chœur maison, lequel se sort avec honneur des parties qui lui sont dévolues.
Décevant scéniquement, ce Phaëton aura, au moins, eu le mérite de faire entendre au plus grand nombre une œuvre majeure de Lully, encore trop rarement inscrite à l’affiche des théâtres lyriques français. Pour cela, remercions l’Opéra Nice Côte d’Azur et Jérôme Correas de leur audace.
CYRIL MAZIN