Salle Favart, 30 avril
La compositrice française Isabelle Aboulker (née en 1938) a écrit de nombreux opéras pour le jeune public, comme Douce et Barbe-Bleue et Olympe la Rebelle, mais elle tient à préciser qu’Archipel(s), fruit d’une commande de l’Opéra-Comique, est destiné à tous, quand bien même il s’agit d’un ouvrage chanté par des enfants. Il est vrai que les questions qu’il pose – la solitude, le libre arbitre, l’individu face à la collectivité – sont graves, sans qu’elles soient abordées, ici, sous l’angle de l’anecdote.
Le livret, signé par l’écrivain Adrien Borne, a été conçu à partir d’une série d’échanges avec les membres de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique, enfants, adolescents et jeunes adultes, âgés de 8 à 25 ans. Échanges complétés par des ateliers, dirigés par le metteur en scène britannique James Bonas.
C’est, peut-être, ce qui en explique la relative abstraction : Archipel(s) raconte la vie de la Colonie, tenue d’une main de fer par un gouvernement à trois têtes (Niña, Pinta et Santa Maria). Ceux qui ont 20 ans doivent la quitter pour ne plus revenir, munis de prénoms qui leur ont été arbitrairement attribués. Mais un enfant rebelle est pris de doute devant l’ordre imposé, d’autant qu’on refuse de lui dire ce que deviennent ceux qui partent.
L’Enfant est, alors, banni par le Puiseur – celui qui sonde les âmes – et se retrouve dans l’Île des parias, où il rencontre le bienveillant Mavrick, marginal entre les marginaux, mais aussi l’extravagant Tricoteur. L’Enfant finit par accéder au passage menant à l’Océan : libéré, il embarque seul sur un bateau et se retrouve au milieu de lucioles, qui l’exhortent à se trouver lui-même.
Partant du matériau proposé par les Maîtrisiens et, bien sûr, de son propre savoir-faire, Adrien Borne a écrit un livret sans prêchi-prêcha. La petite île, située près de la colonie principale, montre qu’on est toujours le marginal de quelqu’un, et l’invitation au partage, à la toute fin, n’a lieu que lorsque l’Enfant a compris qu’il fallait, d’abord, se donner à ses rêves.
Le texte ménage des moments de lyrisme, qu’on peut considérer comme des airs ou, plus modestement, comme des chansons. Isabelle Aboulker utilise, tantôt le chant, tantôt le mélodrame, tout en laissant la place, régulièrement, au dialogue parlé – nous sommes bien à l’Opéra-Comique !
La musique, consonante, évoque aussi bien le meilleur Satie que Poulenc – avec, au tout début, un souvenir, peut-être involontaire, de la comptine Nous n’irons plus au bois –, et fait un usage espiègle des vents et des percussions. Il y a là un univers sonore familier, discrètement mélancolique, avec quelques moments très réussis, notamment au deuxième acte – les chansons du Tricoteur et de Mavrick –, et un délicieux chœur des lucioles, avant la dernière intervention de l’Enfant.
Les membres de la Maîtrise Populaire, sous la direction artistique de Sarah Koné, ont beaucoup travaillé, aussi bien la projection que la diction, et tant la chorégraphie que le jeu scénique. On remarque, en particulier, le brio de Rachel Masclet, Malvina Missio et Airelle Groleau, dans leur numéro très rodé de gouvernement tricéphale, l’aisance de Tiago Lucet-Rémy, le joli timbre de Colin Renoir-Buisson, le charme de Marthe Léon, cependant qu’Iyad Mensou a le zeste de timidité qui sied aux vrais insurgés.
Le spectacle de James Bonas et son équipe articule habilement les groupes et les individualités, dans des costumes blancs (et noirs pour les trois membres du gouvernement de la Colonie), puis, tout à coup, très colorés. Le décor est fait, essentiellement, de panneaux réversibles, les costumes et quelques marionnettes de chiffons suffisant à accompagner l’évolution des Maîtrisiens sur le plateau.
Dans la fosse, le chef français Mathieu Romano dirige, avec brio, l’ensemble Les Frivolités Parisiennes, menant à bon port cette partition simple, brève, contrastée, dans laquelle les membres de la Maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique semblent avoir trouvé leur bonheur.
CHRISTIAN WASSELIN