Staatsoper Unter den Linden, 12 octobre
Quand Nabucco a été présenté, pour la première fois, au Staatsoper Unter den Linden – en 1963, seulement ! –, l’ouvrage était chanté en allemand. Il aura fallu attendre… 2024, pour qu’il y soit donné en italien.
Mais, dans les travées, c’est, surtout, le russe qu’on entend parler : de retour en grâce, Anna Netrebko incarne Abigaille. Retardée par la pandémie, puis par l’invasion de l’Ukraine, sa prise de rôle a, finalement, eu lieu en concert, à Wiesbaden, en mai 2023. Cette fois, la diva y ajoute l’épreuve – relative – de la scène, dans un un des emplois les plus exposés du répertoire.
Certes, tout n’est pas parfait : si le grave est confortable, les aigus sont parfois attaqués par le bas, voire stridents. On peut, également, regretter une tendance au portamento, pointer un manque de fermeté dans l’articulation, ou même souligner un certain histrionisme des attitudes. Mais force est de reconnaître la qualité de la projection, la richesse de la palette de nuances, l’aisance de la conduite et la beauté de certains piani. L’air « Anch’io dischiuso un giorno » est, à cet égard, un moment de quasi-perfection, et la cabalette qui suit (« Salgo già del trono aurato ») fait trembler la salle.
Coup de chapeau, aussi, à Mika Kares, Zaccaria autoritaire, ainsi qu’à Luca Salsi, excellent Nabucco, qui concilie attaques précises et phrasés suaves, en y ajoutant une expressivité souveraine. Marina Prudenskaya campe une impeccable Fenena, tandis qu’Ivan Magri incarne un Ismaele sobre, mais efficace.
Dommage que la direction musicale ne soit pas au même niveau. D’emblée, la battue de Bertrand de Billy semble plate, étale, à telle enseigne qu’on regarde, déjà, sa montre avant la fin de l’Ouverture, et qu’on se demande si, vraiment, Verdi a composé l’entrée du prophète Zaccaria (« Come notte a sol fulgente ») sur un rythme de fête de la bière. La suite sera à l’avenant.
Et on n’a encore rien écrit de la mise en scène d’Emma Dante, dont la principale qualité semble être d’avoir consacré l’essentiel de son budget aux costumes de Vanessa Sannino. Et, tout particulièrement, aux diverses robes d’Abigaille, dont on imagine qu’elles ont, avant tout, pour fonction de permettre à Anna Netrebko de proposer à ses fans autant d’images « instagrammables » – l’une d’elles s’ouvre même en corolle dorée à l’arrière, quelque part entre roue de paon et hélice d’hydroglisseur, sans, toutefois, lui permettre de s’envoler…
Au début, on s’étonne du décor imaginé par Carmine Maringola, en forme de ruche, avec les chœurs disposés dans les alvéoles, d’abord vêtus en sobres pèlerins, puis rhabillés façon fête rurale, lorsque ladite ruche se couvre de fleurs. Quand Abigaille, Ismaele et Nabucco brandissent, tour à tour, un revolver, on se résigne, juste à temps pour comprendre que cette multiplication d’actions parallèles, encombrant la scène, les unes religieuses, les autres purement folkloriques, sont là pour détourner l’attention d’une absence criante de conception des personnages et de direction d’acteurs.
Le programme de salle nous apprend, néanmoins, que la réalisatrice italienne a voulu dénoncer l’absurdité et la vanité des guerres. Elle ajoute, à cet effet, à un plateau déjà surchargé de solistes et de choristes, une vingtaine de figurants et danseurs, représentant, probablement, les civils au milieu des affrontements, comme ces fillettes portant des robes à fleurs et de grands ours en peluche. C’est, tout à la fois, niais et kitsch, mais il n’est pas sûr que la cause pacifiste en sorte renforcée.
NICOLAS BLANMONT